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« Help people to help themselves » : le cas de la tribu indigène des Higaonon.

vendredi 4 janvier 2013

Dans notre dortoir de Cagayan de Oro, le deuxième jour de tournage du documentaire, un curieux personnage frappe à notre porte. Il se nomme Datu Kalumbata Cesar R. Sayosay, Datu pour « Chef », et se dit le Datu de la tribu indigène des des Higaonon, dont le village est situé à deux heures de jeepney de la ville, à la frontière de la région forestière de Bukidnon.

Plus encore, il nous somme de nous préparer à rencontrer et interviewer la tribu le lendemain : il sera notre guide nous dit-il, lui et Clarisse, membre de l’organisation non gouvernementale Green Mindanao engagée envers la protection des tribus indigènes des environs. Surpris, nous embarquons sans réfléchir à bord de cette fameuse jeepney à sept heures du matin en route pour une expérience ethnique et culturelle des plus inédites.

A notre arrivée au village, nous ressentons une drôle d’impression d’avoir, en quelques kilomètres, voyagé dans le temps, aux portes de ce que devaient être les Philippines d’antan. Ici dominent les huttes en bambou cachées dans la forêt tropicale, au bord de la rivière faisant office de bains publics, et règnent les carabaos, ces vaches typiques et symboliques du pays, en harmonie avec les laies et leurs porcins, les chiens et les coqs évidemment. Par moments nous croisons des hommes montant de maigres chevaux sur le chemin de terre, et parfois même une mobylette qui nous rappelle que nous n’avons pas tout à fait quitté la société d’aujourd’hui.

Nous sommes introduits à tout le village par Datu Cesar à l’étage de la seule maison cimentée s’élevant sur ce qui semble être une place publique centrale. Les interviews commencent, dans un brouhaha et une ambiance chaleureuse. Nous retrouvons dans cette assemblée les caractères les plus significatifs de la culture philippine : la résilience face aux événements et cette capacité fascinante à rire même des plus extrêmes d’entre eux. Ainsi, alors que nous tentions de récolter quelques témoignages vis-à-vis de la tempête tropicale Sendong qui a frappé la tribu en décembre dernier, les histoires les plus marquantes surviennent au milieu des blagues, des rires et des applaudissements. Il n’empêche que le sentiment de désespoir est plus présent dans cette tribu que dans toutes les autres communautés urbaines évacuées à la suite du même typhon que nous avons pu rencontrer. Le village a subi un certain abandon des forces de gestion post-désastre du gouvernement, en raison de l’accès difficile aux lieux relativement éloignés des services urbains.

Présentation vidéo de la tribu et témoignages vis-à-vis de Sendong : http://www.youtube.com/watch?v=b7g_SHt4UcY

Ici survient l’importance de l’action des organisations telles que Green Mindanao. L’ONG est particulièrement présente pour cette tribu au regard de sa mission au Nord de Mindanao qu’elle résume elle-même ainsi :

« GREEN Mindanao influences the people of Northern Mindanao to use the environment responsibly. This is done through advocacy, assistance of marginalized people, promotion of sustainable development and community-based resource management, rehabilitation and protection of critical ecosystems, and links with relevant institutions. »
 [1]

La pertinence de l’action de Green Mindanao pour la tribu des Higaonon se découvre à travers la prise en compte des différents facteurs qui définissent la vulnérabilité des tribus indigènes en général. Cette tribu, à l’image de toute les autres, se voit obligée de s’adapter à la destruction progressive de son environnement qui, traditionnellement, lui permet de vivre et d’être protégée. Le même environnement, une fois menacé, la menace elle-même : l’exemple de la violence inédite contre laquelle elle a du lutter lors du typhon Sendong l’exprime bien. Ainsi, Green Mindanao est une organisation qui s’attache à aider la tribu à travers l’agriculture biologique, des projets de réhabilitation des ponts en bois qui parsèment la région à partir de matériaux durables, ou d’autres encore comme celui de replanter les bambous poussant aux abords de la rivière pour protéger le village des inondations en cas de fortes pluies.

Le leitmotiv de la mission guidant l’action de Green Mindanao pour aider la tribu se retrouve chez bien d’autres organisations non gouvernementales aujourd’hui aux Philippines, soit celui, très bien résumé par le Citizens Disaster Response Center, disant « Help people to help themselves ». Les ONGs sont nombreuses aux Philippines, et le manque de coordination, parfois même les rapports de compétition entre-elles sont observables. Toutefois, ces différentes organisations sont comparables en ce qui concerne leur tendance à suivre ce leitmotiv progressiste. Elles tendent en général vers l’idée d’aider les différentes communautés vulnérables à s’adapter elle-mêmes aux multiples facteurs à l’origine de leur vulnérabilité, de mettre en place des solutions économiques, sociales et écologiques durables. Ainsi le durable est, au sein de ces milieux, perçu comme une solution d’aide, même dans le cas où les conditions socio-économiques des différentes communautés sont encore extrêmement faibles. L’opinion voulant que l’idée de durabilité ne survienne dans nos sociétés que lorsque ces conditions sont préalablement remplies tend ici à être détruite. L’idée de durabilité, ou plutôt, de l’intraduisible « sustainable », apparaît ici comme celle de permettre aux populations de vivre par elles-mêmes, indépendantes et fortes d’un point de vue socio-économique, politique et climatique, et ce d’après leurs propres moyens.

Armé de son téléphone portable, de ses cartes d’affaires indiquant l’adresse de son site internet et de sa mobylette, Datu Cesar parcoure les rues des zones urbaines environnantes à la recherche d’une telle aide, d’organisations gouvernementales ou non prêtes à aider sa tribu à s’aider elle-même, de personnes qualifiées pour faire cesser les activités illégales de déforestation, et plus encore. Pour le remercier de nous avoir invité et guidé au sein de sa tribu, nous lui donnons de quoi acheter quelques cadeaux pour ses confrères. Il rit malicieusement face à notre petite offre, qu’il accepte avec un sourire. Le message est clair : notre aide lui est plus profitable lorsqu’il s’agit de faire savoir son histoire ailleurs, près de ceux qui mettent en place les moyens pour aider durablement ces populations.


[1Pour en savoir plus, voir http://greenmindanao.blogspot.com/ à la section About Green Mindanao.