Blogue sur la recherche et la coopération internationale

Logo

L’air qui essouffle

lundi 17 décembre 2012

6h30 du matin, Manille – Je devais me lever tôt cette journée-là pour aller à un rendez-vous fixé à neuf heures à l’autre bout de la ville et, avec le trafic, c’était déjà limite de partir à cette heure.

Je suis parti de chez moi en direction du stand à tricycle pour entamer mon voyage de plusieurs arrêts. Ces petits engins qui, à chaque coup d’accélération, échappe un épais nuage de fumée noire sont utilisés ici pour les déplacements de courtes distances.

Le ciel était toujours parfaitement visible à cette heure-ci dans mon quartier de Quezon City et l’air qu’on y respirait était encore d’une qualité gérable. Mais bientôt, comme à chaque jour (surtout du lundi au vendredi), un smog allait s’installer au-dessus des zones à proximité des grandes artères routières.

Le chauffeur de tricycle qui me transportait avait sur ses genoux son enfant qui ne devait pas avoir bien plus que 2 ans. Je me disais que ça ne devait pas être bien bon pour cet enfant au si jeune âge de respirer cet air pollué par ces véhicules. Les tricycles utilisent comme source d’énergie l’essence, la même qui sert de carburant aux voitures communes. Ces petits véhicules sont toutefois plus polluants que d’autres qui utilisent le même type de carburant parce qu’ils utilisent un moteur à deux temps, ce qui augmente les émissions de monoxyde de carbone, de plombs (dans l’essence avec plomb) et de différents oxydes d’azote [1].

La prochaine étape de mon voyage était de prendre un jeepney. Ces drôles de véhicules, traficotés à partir de vieilles jeeps américaines issues de l’époque de la deuxième guerre mondiale, ont été adaptés par les Philippins comme moyens de transport. Pour les plus grands, il peut être un peu inconfortable en raison de sa taille. Il faut bien s’accrocher parce que certains chauffeurs ont le pied lourd sur le frein de temps en temps… ! On peut y installer une vingtaine de personnes si on se serre un peu la ceinture. Aux heures de pointes, dans le trafic lourd, l’accumulation de ces jeepneys et des autres véhicules à haute consommation de carburant rend l’air très difficile à respirer. Beaucoup de gens pressent un mouchoir contre leur visage pour empêcher tant bien que mal les produits dommageables pour la santé de s’introduire dans leurs voies respiratoires. Ces véhicules bruyants utilisent le diesel comme carburant. Les gaz d’échappement des moteurs au diesel sont spécialement nocifs pour l’environnement en ville (plus grand contributeur du smog urbain) et pour la santé des gens [2]. Ces gaz, en plus d’être sources de plusieurs maladies respiratoires, seraient précurseurs de cancers [3]. Une exposition fréquente à ce type d’émissions augmenterait fortement les risques de développer différents types de cancer comme celui du poumon.

Le jeepney est le moyen de transport public le plus utilisé par les Manillais et le nombre de ces véhicules que l’on retrouve dans la rue est assez effarant. Le fait qu’aucune entité centrale ne gère les jeepneys et que leurs chauffeurs deviennent donc chacun une entreprise privée nous rend parfois spectateur de scènes où l’on voit quatre jeepneys un à la suite de l’autre remplis de passagers au quart de leur capacité. En ce sens, l’inefficacité technologique en termes d’environnement des moteurs de jeepney est accentuée par la mauvaise planification sociale de la gestion de ces derniers. On comprend aussi cependant que de réduire le nombre de ces véhicules réduirait du même coup le nombre de chauffeurs qui se retrouveraient sans emplois.

Pour ce qui est du contrôle des émissions du jeepney, on a introduit le E-Jeepney qui utilise un moteur électrique. Le projet n’en est toutefois qu’à ses premiers balbutiements alors que le nombre de prototypes qui parcourent les rues de la zone métropolitaine de Manille ne se chiffre qu’à 21, par rapport aux 50 000 jeepneys conventionnels au diesel [4] .

Après le jeepney, j’ai dû prendre le métro. Alimenté par électricité, le système de métro de Manille couvre une bonne partie de la région et permet au gens d’éviter le trafic à l’air conditionné. Attention cependant aux heures de pointes, où l’espace pour chacun des passagers est restreint à un bon demi-pied carré. Ce système de transport permet quand même de désengorger les rues de cette ville et il y aurait probablement intérêt à le développer davantage.

Dans une ville où les niveaux de pollutions sont maintenant mille fois plus élevés que les niveaux normalement acceptables, et où 80% de la mauvaise qualité de l’air est causée par les émissions des différents véhicules [5] , les politiques gouvernementales et municipales devront implanter des mesures visant à éliminer ces problèmes. Le Clean Air Act de 1999 est un signe d’une certaine volonté politique allant dans cette direction. La mise en application à Manille de mesures faisant la promotion des fondements de cette loi reste visiblement insuffisante pour réduire la pollution de l’air, qui affecte plus de 15 millions de Manillais [6] .


[1Abuzo, Anabel, Sigua Ricardo et Vergel, Karl. « Development of Drive Cycle and Emissions Concentration Models for In-use Tricycles in Metro Manila », Philippine Engineering Journal, Quezon City, vol. 25, no.2 : 35-52.

[2West Coast Collaborative. Public Health and Environmental Impacts of Diesel Emissions, 2004, 2p.

[3World Health Organisation. IARC : Diesel Engine Exhaust Carcinogenic, 2012, 4p.

[4Sarmiento, Prime. ‘’Electric Jeepney ease Philippines air pollution’’, Science and Development Network, 16 mars 2012, [scidev.net] (page consultée le 8 août 2012).

[5Romualdez, Babe G. ‘’Metro Manila’s Deadly Air’’, The Philippine Star, 12 avril 2012, [philstar.com] (page consultée le 8 août 2012).

[6Mayuga, Jonathan L. ‘’Warming up on Metro Air Pollution’’, Business Mirror, 22 février 2012, [businessmirror.com.ph] (page consultée le 8 août 2012).