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L’emprise de l’Église sur le peuple philippin

vendredi 14 février 2014

L’omniprésence de la religion aux Philippines est frappante et dès les premiers instants passés dans le pays. On ne peut s’empêcher de remarquer les chapelets suspendus au miroir des taxis, les prières récitées religieusement avant chaque repas (même lors d’une sortie dans une succursale de restauration rapide), les gestes en signe de croix que font immanquablement les philippins lorsqu’ils passent devant une église, les plaques de céramique à l’effigie de la Vierge Marie ou de Jésus Christ posées sur les maisons.

En réalité, ces coutumes ne sont que l’expression manifeste de l’enracinement profond du catholicisme dans la société philippine. Le dogme catholique est ancrée au plus profond des convictions quasi-inébranlables des gens pour qui la voix de l’Église est nécessairement la voix de la raison. Il faut préciser que cette ferveur religieuse n’est toutefois pas partagée par les universitaires. D’ailleurs, ils sont les premiers à critiquer l’influence politique du Clergé. Si en principe l’État est séculaire, le débat politique et l’avancement des politiques sociales sont paralysés par le fondamentalisme latent auquel adhèrent les figures publiques les plus influentes. Le débat qui entoure le RH Bill (Reproductive Health and Population Development Bill)*, en est l’exemple le plus éloquent : l’opposition des groupes religieux retarde l’adoption du projet de loi. Cette loi aurait pour vocation de sensibiliser les femmes à l’importance de la planification familiale et de la santé reproductive, sans pour autant froisser leurs convictions religieuses et morales :

The State recognizes and guarantees the exercise of the universal basic human right to reproductive health by all persons, particularly of parents, couples and women, consistent with their religious convictions, cultural beliefs and the demands of responsible parenthood. Toward this end, there shall be no discrimination against any person on grounds of sex, age, religion, sexual orientation, disabilities, political affiliation and ethnicity.

Moreover, the State recognizes and guarantees the promotion of gender equality, equity and women’s empowerment as a health and human rights concern. The advancement and protection of women’s human rights shall be central to the efforts of the State to address reproductive health care. As a distinct but inseparable measure to the guarantee of women’s rights, the State recognizes and guarantees the promotion of the welfare and rights of children.

The State likewise guarantees universal access to medically-safe, legal, affordable, effective and quality reproductive health care services, methods, devices, supplies and relevant information and education thereon even as it prioritizes the needs of women and children, among other underprivileged sectors.

The State shall eradicate discriminatory practices, laws and policies that infringe on a person’s exercise of reproductive health rights [1].

Pour l’occidental moyen, le projet de loi est parfaitement légitime et énonce des principes qui semblent aller de soi. Pourtant, aux yeux du Clergé et de ses fidèles, il est immoral et il contrevient aux préceptes religieux « fondamentaux ». Selon eux, il est inadmissible que l’État autorise des pratiques sexuelles, la contraception par exemple, qui violent les préceptes prescriptions ecclésiastique au sujet de la sexualité. Dans leur comparution devant le Comité de justice, ils font valoir l’argument du respect des traditions et osent se référer à la Constitution de 1986 selon laquelle l’État est tenu de reconnaître, respecter et protéger les droits des communautés indigènes afin de préserver et promouvoir leur culture, leurs traditions et leurs institutions (art XIC, sec.17 des lois Philippines, les coutumes étant considérées comme une source supplémentaire de la loi) [2]. Le mot immoral est employé pour décrire un comportement qui n’est pas en conformité avec les standards ou les principes d’une société ; il s’agit d’un comportement inconvenant, impudique, indécent. Or, c’est ainsi que l’Église catholique perçoit le projet de loi sur la santé reproductive (RH Bill) qui est encore débattu à la Chambre des représentants. Selon les représentants du Clergé, ledit projet de loi est une atteinte au droit à la vie, à l’intégrité corporelle et implique la condamnation à mort d’êtres innocents. En 2012, l’Archevêque de Batangas, Ramon Arguelles, a d’ailleurs comparé le projet de loi à une tuerie, clamant que si aux États-Unis un tireur isolé de 20 ans a exécuté 20 enfants (en parlant d’Adam Lanza), le président Aquino en tuerait 20 millions en un trait de stylo. Si le projet de loi est adopté, le ventre de la mère ne sera dorénavant plus l’endroit le plus sûr au monde, disent les opposants au projet de loi. Ils s’opposent même à l’avortement médical préventif, c’est-à-dire, lorsque la vie de la mère est menacée si la grossesse est menée à terme. Si on en croit les fondamentalistes, il est donc plus moral – et naturel - de laisser l’embryon et la mère mourir, que de perpétrer l’équivalent d’un infanticide [3].

L’avortement n’est pas le seul contentieux. L’Église catholique demeure l’opposant le plus coriace à la légalisation du divorce et en appelle de nouveau à la moralité et à la constitution afin de défendre sa position. L’État, affirme-t-elle, se doit de protéger le mariage et la sainteté de la vie de famille. Le Clergé aux Philippines, soutenant que l’autorité du Vatican est suprême et absolue, demande à ce qu’il y ait un renforcement légal des dogmes catholiques, principalement en ce qui concerne la sexualité des femmes [4].

Bref, il va sans dire que l’influence du dogme catholique au Philippines limite l’avancement des politiques sociales qui auraient le potentiel d’améliorer les conditions de vie des populations les plus à risque. En effet, c’est surtout dans les bidonvilles que les femmes n’ont pratiquement pas accès aux moyens de contraception, aux services sociaux et de santé appropriés. Elles peuvent donc difficilement faire de la planification familiale. Résultat ? Elles se retrouvent avec 10 bouches à nourrir avec un budget d’un dollar par jour. Les problèmes sociaux et de santé sont omniprésents aux Philippines et les principes moraux de l’Église ont tendance à alimenter le problème plutôt qu’à le résorber. En attendant que l’Église concède un peu de terrain, ou tout simplement que le gouvernement lui en accorde moins, les femmes continuent de mettre au monde des enfants qu’elles n’ont pas les moyens d’élever.


[1RHbill.org, « About the RH Bill », (2011) En ligne. http://rhbill.org/about/rh-bill-text/ (page consultée le 12 novembre 2013).

[2Macairan, Evelyn, 2012, « Fight vs Rh Bill is Catholic Church’s biggest challenge », The Philippine Star. En ligne, 16 décembre, http://www.philstar.com/headlines/2012/12/16/886554/fight-vs-rh-bill-catholic-churchs-biggest-challenge (page consultée le 12 novembre 2013).

[3Arcilla-Agtay, Gigie, 2011, « Church and Rh Bill », Sunstar. En ligne, http://www.sunstar.com.ph/davao/weekend/church-rh-bill" http://www.sunstar.com.ph/davao/weekend/church-rh-bill (page consultée le 12 novembre 2013).

[4Macairan, Evelyn, 2012, « Fight vs Rh Bill is Catholic Church’s biggest challenge », The Philippine Star. En ligne, 16 décembre, http://www.philstar.com/headlines/2012/12/16/886554/fight-vs-rh-bill-catholic-churchs-biggest-challenge (page consultée le 12 novembre 2013).