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Le Zorro de l’Université des Philippines : Quelle place pour la maladie mentale aux Philippines ?

« I am Zorro. People need Zorro to save them ! » - Le Zorro de Roxas circle

mercredi 12 mars 2014

Vêtu de son grand chapeau, de sa longue cape bariolée, de son masque noir, de son boomerang jaune banane et de sa carabine en plastique, Zorro fait son entrée chaque jour à la même heure sur le terrain de l’Université des Philippines. Il s’installe tranquillement sur le bord de la route et n’affiche aucune émotion. Cela fait maintenant quelque temps qu’il fait partie du décor et les gens se sont habitués à sa présence. Jamais d’incident majeur n’a été causé par sa présence, mis à part quelques commentaires déplacés à l’endroit de demoiselles.

Personne ne sait tout à fait d’où il vient. Certains racontent qu’il serait un ancien étudiant de l’Université qui ne pouvait plus assumer ses frais de scolarité. D’autres affirment qu’il serait devenu fou à force de trop étudier. On ne sait pas s’il est sot, ou au contraire, très intelligent. On ne sait pas non plus s’il est inoffensif et toujours prêt à porter main forte ou s’il s’agit d’un obsédé sexuel ; si ses actions poursuivent réellement un idéal quelconque ou s’il fait simplement ça pour son propre plaisir. Quand on lui pose des questions sur sa personne et sur sa démarche, il répond qu’il est « le défenseur des Philippines contre l’impérialisme espagnol et américain ». Un mystère plane autour de cet homme qui patrouille le campus accoutré de son costume de super-héros depuis maintenant presque 20 ans. Le temps passé sur le campus et l’attention médiatique qu’il a reçue a su animer une certaine fascination de la part de la communauté pour le personnage. Les articles de journaux, les blogues et les vidéos à son propos circulent de façon virale sur internet. Sa page Facebook rejoint maintenant plus de 40 000 admirateurs qui peuvent regarder des photos de lui et lire ses statuts. Aujourd’hui, le pseudo super-héros est devenu un symbole, un personnage extraordinaire qui se mêle au quotidien des étudiants et se fond dans le décor.

Tant d’autres comme lui se promènent perdus dans les rues de Quezon, parfois l’air accablé, parfois l’esprit plongé dans leurs lubies. À leur passage, les piétons n’affichent jamais plus qu’un sourire, à moitié par volonté de laisser vivre et à moitié par indifférence. Bien qu’il soit impossible de savoir ce qui se passe derrière le masque du personnage, tout porte à croire que Zorro fait partie de ces gens ayant besoin d’assistance psychiatrique et que malheureusement, l’État philippin n’a pas les ressources pour l’encadrer.

Les institutions en place dans la société philippine sont nettement insuffisantes. Selon un rapport de WHO- AIMS de 2007 sur le sujet, les deux hôpitaux psychiatriques du pays rendent disponibles 5,57 lits pour chaque tranche de 100 000 citoyens. Ces deux mêmes hôpitaux arrivent à faire des pieds et des mains, malgré le manque de ressources pour recevoir, à l’intérieur de leurs murs, une moyenne 8,97 patients par tranche de 100 000 citoyens. Il existe, dans le pays, 2900 employés mobilisés afin d’encadrer les patients souffrant de maladie mentale, dont 353 psychiatres (0,01 pour 100 000 habitants),141 médecins non spécialisés en psychiatrie (3,43 pour 100 000 habitants) et 769 infirmières (43,22 pour 100 000 habitants). La quantité de ressources humaines et immobilières en place dans le pays paraît presque inexistante quand elle est comparée à la taille de la population philippine. Puisque la plupart des personnes atteintes de maladie mentale n’ont pas été diagnostiquées, il devient impossible de savoir le nombre de laissés pour compte.

Puisqu’il n’y a pas assez de diagnostics faits par des professionnels, la population pose elle- même son jugement sur une personne atteinte de maladie mentale. Ces jugements sont souvent issus de vieilles croyances qui se sont ancrées avec le temps. Il est donc possible qu’une personne souffrant de troubles mentaux ne puisse pas recevoir l’aide dont il aurait besoin de la part de son entourage. Depuis quelque temps, la communauté psychiatrique philippine travaille afin de lutter contre les préjugés envers les personnes atteintes de maladie mentale.

Certains moyens ont donc été mis en place afin de démystifier les problèmes de santé mentale, qui sont toujours stigmatisés. C’est le cas de la Philippine Psychiatric Association, approuvée en 1973. Bien plus qu’un centre de recherche sur les maladies mentales, la PPA est un regroupement de psychiatres qui s’est donné comme mission de changer la façon dont les Philippins voient la maladie mentale :

« The Philippines is a country in which psychiatry is taboo. Despite being a very modernized and americanized nation for the most part, plenty of Filipinos still hold on to old traditional and religious beliefs. Psychological disorders are not seen as such, but are thought of as demonic possessions and the like. »

La façon dont une personne atteinte par la maladie mentale est encadrée aujourd’hui dépend donc essentiellement du milieu qui l’entoure. Une personne atteinte par ce genre de pathologie est souvent prise au dépourvue, ce sont donc souvent les proches qui doivent prendre les décisions adéquates afin d’aider cette personne.

« This is why the Philippine Psychiatric Association (PPA) has such a huge role to play in our country today. It is this group that studies psychiatry as a field of medicine and how this study of mental illnesses can be applied to our religious and superstitious Philippine society. In essence, this group composed of psychiatrists that aim to improve the state of psychiatry as a competent and reliable medical field in the country. »

L’augmentation des ressources vouées à la santé mentale, ne peut à elle seule résorber le problème. De nouvelles structures de diffusion des soins psychiatriques doivent être pensées. Plus fondamentalement, il faut aussi considérer la tension entre les conceptions traditionnelles de la maladie mentale et la perspective introduite par la psychiatrie moderne.

C’était la fin des classes sur le campus de l’Université des Philippines au moment où j’ai décidé d’écrire ce texte. Zorro patrouillait, comme à l’habitude autour du cercle de Roxas entre les joggeurs. Je me suis demandé comment un super-héros pouvait faire les cent pas dans les rues aussi longtemps ? J’ai pensé à tous les préjugés et ragots qui peuvent bien circuler à son sujet. J’ai tourné la tête et j’ai souri. Je m’en suis voulu de le prendre en pitié. Après tout : s’il est heureux ?