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Le « nouveau » code forestier brésilien

mercredi 9 janvier 2013

Environnementalistes contre « ruralistas » ; le débat entourant la modification du code forestier brésilien a cours depuis plusieurs années déjà entre les différentes parties prenantes, soit la communauté scientifique et les lobbys agricoles au sein du gouvernement.

Le récent projet de loi divise les uns contre les autres, à savoir si la législation actuelle entourant la déforestation, particulièrement celle de la forêt amazonienne, devrait être réduite afin de permettre au pays de rejoindre son plein potentiel économique via, entre autres, le développement soutenu de l’agriculture dans les régions nordiques du pays. La chambre des députés, composée de « ruralistas [1] », a accepté à grande majorité la nouvelle version du code forestier le 24 mai 2011. Le projet de loi, introduit en chambre en 2010 par le député Aldo Rebelo, reste à être approuvé par le Sénat et par la présidente Roussef. Ce travail présente un bref survol de l’historique du code forestier brésilien, des critiques apportées par les défenseurs et les opposants au nouvel amendement ainsi que de la nature des changements associés à la nouvelle loi.

D’entrée de jeu, il a toujours existé des règles strictes quant à la protection des ressources naturelles au sein du Brésil colonial. Ces règles étaient mises sur pied non pas pour la protection de la forêt, mais pour l’exclusivité des ressources ligneuses pour la couronne portugaise [2]. Le développement du pays, à travers la colonisation et l’ouverture des terres pour l’agriculture, s’effectuait au détriment de la conservation des forêts indigènes. A l’époque, il était effectivement moins dispendieux et plus commun de rechercher constamment de nouvelles terres à défricher et à dégrader que d’investir dans l’augmentation de la productivité agricole [3]. Dès lors, la couverture des forêts indigènes a grandement diminuée, augmentant conséquemment la précarité de nombreuses espèces végétales. Ainsi, dans le but de consolider la productivité et d’assurer la pérennité des ressources nationales, le gouvernement Vargas élabora le Code forestier brésilien en 1934, créant du même coup des cadres légaux pour la protection de l’eau, des mines de la chasse et de la pêche [4]. Avec le décret numéro 23.793, le Code fixa les niveaux de déforestation permis sur chaque lot de terre et accorda l’abattage de 75% du couvert forestier des propriétés, façonnant ainsi le concept de “réserve légale”, qui était de 25 % dans tout le pays à l’époque [5].

Environ trente ans plus tard, soit en 1965, la législation entourant la déforestation fut modifiée et resserrée, établissant la taille des réserves légales à 50% dans la forêt amazonienne et à 20% dans le reste du pays [6]. De plus, avec l’application de la nouvelle loi 4.771, le gouvernement de Castello Branco marqua l’histoire de la conservation environnementale brésilienne en créant les aires de protection permanentes (APP) [7]. Celles-ci identifient les aires les plus sensibles à la déforestation, soient les zones les plus susceptibles à l’érosion du sol et au glissement de terrain. Les APPs représentent, dans la plupart des cas, des marges de rivières et de sources d’eau (bandes riveraines de 30 mètres obligatoires) ainsi que des sommets et versants de certaines montagnes de forêts, chacune remplissant une fonction écologique vitale [8]. L’importance de la conservation de ces aires permanentes se reflète dans la multitude de services écosystémiques assurés par ces zones protégées telle la qualité des sources d’eau potable et le maintien de la diversité génétique des plantes et de la flore. Depuis, la loi du Code forestier s’est vue modifiée à quelques reprises afin de s’ajuster aux études d’impacts environnementales mettant la lumière sur les nombreux dommages à l’environnement enregistrés à travers les décennies, comme le constat de déforestation tragique de l’Amazonie en 1995 (voir logo). D’ailleurs, la largeur des bandes riveraines, la taille des réserves légales et la surveillance des coupes illégales ont toutes connues une amélioration substantielle, soit la consolidation du cadre légal les régissant [9].

De nos jours, grâce au gouvernement Cardoso, les réserves légales des forêts amazoniennes et des savanes se chiffrent respectivement à 80% et 35%, et celles du reste du pays à 20%. Cette différence de taille des réserves légales, selon leur localisation dans les différentes régions du pays, est à la base de la mise sur pied du nouveau projet de loi sur le Code forestier brésilien, afin de rétablir une certaine justice pour les agriculteurs “coincés” de l’Amazonie, qui considèrent que leur développement est freiné par la loi sur la conservation.

Malgré une nette amélioration des taux de déforestation depuis 1995 (voir logo), il est primordial que la présidente actuelle Dilma Rousseff maintienne les gains obtenus par l’ex-président Lula da Silva dans le dossier de la protection environnementale et des aires protégées. Selon le Ministère de l’Environnement brésilien, plus de 148 millions d’hectares des 317 millions d’hectare d’aires prioritaires pour la conservation, dont la biodiversité est qualifiée d’élevée, se retrouvent en Amazonie [10]. Ainsi, l’ouverture des terres forestières amazoniennes pour la production agricole et l’élevage bovin augmente le risque de dépérissement grave de l’Amazonie, lequel aurait un impact sur le réchauffement climatique global [11].

Deuxièmement, les parties prenantes d’une modification au Code forestier défendent plusieurs arguments et bénéficient d’un puissant lobby agricole au sein même de la chambre d’assemblée brésilienne. Les « ruralistas », étant pour la plupart des politiciens, font pencher la balance du pouvoir en leur faveur et ont réussi, en mai 2011, à faire accepter la révision du Code forestier en chambre. Ce projet de loi reste à être approuvé par le Sénat et la présidente, dont plusieurs espèrent l’utilisation de son veto pour bloquer certaines clauses radicales [12]]. De ceux qui appuient le nouveau code, plusieurs soutiennent que le Code forestier actuel constitue un obstacle majeur à la réalisation du plein potentiel économique du Brésil dans le secteur agricole. Présentement situé au deuxième rang mondial en termes de production agraire, les agriculteurs, surtout ceux situés en Amazonie, se sentent freinés dans leur possibilité de développement économique vu la persistance des clauses entourant la déforestation sur leurs terrains [13]. Aussi, ils affirment fermement qu’en plus d’être difficilement réalisables, les objectifs de conservation du Code forestier “portent préjudice” à l’agriculture familiale, en imposant la préservation d’une large parcelle de leur petit lot de terre [14].

Avec le nouvel amendement proposé en 2010 le Code fait face, pour la première fois depuis sa création, à une proposition voulant diminuer le cadre légal entourant les clauses de déforestation brésilienne au lieu de l’améliorer [15], [16]. Ce changement de perspectives sur l’importance de la conservation de la forêt marque une page importante de l’histoire de la lutte environnementale brésilienne. Les aspects composants le nouveau projet de loi sont irrévocables : les lobbys de grands agriculteurs font pression pour un desserrement des règles de conservation environnementale afin de transformer une plus grande proportion de terres en territoire cultivable. Ils revendiquent :
la réduction des aires de protections permanentes dans la plupart des cas ; des bandes riveraines de 15m au lieu de 30m et de 5m au lieu de 15m.
l’exemption de la conservation des réserves légales pour les petits propriétaires terriens (400 hectares et moins)
l’amnistie aux propriétaires agricoles ayant commis des crimes environnementaux sur leurs lots (coupe d’arbre illégale, bande riveraine surexploitée) avant 2008.
la réduction des réserves légales de 80% à 50% en Amazonie et de 35% à 20% dans les zones de savanes.

Ces réclamations sont perçues comme exagérées par les environnementalistes qui crient au recul des progrès réalisés par le gouvernement brésilien depuis des décennies. Ce que les agriculteurs ont peine à réaliser est que le maintien de l’intégrité de l’Amazonie est nécessaire à la continuité de la prospérité agraire du reste du Brésil, via les précipitations et le contrôle climatique que cette immense forêt exerce sur le continent [17], [18].

Avec l’acceptation d’un tel projet de loi, non seulement la forêt amazonienne se verrait défrichée à outrance, mais la productivité agricole du Brésil en entier s’essoufflerait au long terme. L’importance du couvert forestier amazonien est grandement sous-estimée par plusieurs. Les impacts de l’ouverture des terres forestières amazoniennes pour l’agriculture sont incommensurables et demeurent encore pour la plupart inconnus de la communauté tant agricole que scientifique [19].

Il existe plusieurs alternatives, autre que le défrichement des réserves légales et des aires de protection permanentes, à l’augmentation de production agricole de l’Amazonie. Une première solution serait de générer l’investissement des propriétaires terriens à l’amélioration de la productivité de leurs terres et l’efficacité de leurs pratiques agraires. De plus, quelques 29Mha de terres élevées et 32 Mha de terres en moyennes altitudes déjà défrichées et aptes à la pratique d’activités agricoles ne sont utilisées qu’à des fins de pâturage inefficaces [20]. Il s’agit de 61Mha de terres sous-utilisées qui, converties en terres agricoles, pourraient compenser pour l’expansion voulue du secteur de l’agriculture au Brésil [21].

Afin de concilier la conservation des espaces naturels avec la nécessité du développement agricole, le professeur Gerd Sparovek de l’Université de São Paulo propose une première lignée d’actions qui vise à repenser les objectifs du Code forestier. En effet, ce dernier devrait viser à : 1) parfaire son efficacité 2) régler les problèmes des Codes forestiers passés et rendre l’applicabilité de celui-ci réaliste pour tous 3) s’assurer de sa pleine réalisation dans le futur [22]. Une partie de la conciliation se retrouve dans le calcul des réserves légales(RL). En effet, la couverture obligatoire de la R.L. pourrait éventuellement se faire en incluant les APP. Dans le cas où une APP se retrouve sur une terre agricole, son propriétaire peut l’inclure dans le pourcentage de couverture de la réserve légale à conserver sur son lot [23], [24].

Beaucoup d’encre a coulé depuis la proposition du député Aldo Rebelo de réviser à la baisse certains règlements de conservation du Code forestier brésilien en 2010. Les débats ont envahi la place publique et opposent les défenseurs de l’environnement aux agriculteurs, appuyés au gouvernement par les « ruralistas ». Comme l’avancent bon nombre de chercheurs, les impacts de l’ouverture du territoire forestier amazonien et de savane à l’agriculture engendrera une multitude d’impacts encore majoritairement inconnus au niveau régional, mais aussi global. Il est facile d’envisager une fragmentation des habitats pour certaines espèces animales, un dépérissement accru de nombreuses espèces endémiques à l’Amazonie, une baisse des précipitations au niveau du continent sud-américain, et bien d’autres effets directs et indirects liés à la déforestation de la forêt amazonienne. La gravité des changements à envisager provient aussi du changement d’utilisation des terres défrichées en territoire d’agriculture intensive. Plusieurs solutions existent et restent à portée de main du gouvernement et des agriculteurs afin d’éviter une catastrophe environnementale dont nul ne connaît l’étendue des impacts.

Pour plus d’information :
Carte interactive : Évolution et localisation en Amazonie brésiliennes de la déforestation, des feux, de l’élevage bovin et de l’exploitation hydro-électrique ainsi que des mines et combustibles fossiles.
http://infoamazonia.org/#loc=-9.914743623895184,-55.10986328125001


[1Les « ruralistas » représentent les gens d’affaires, débutés et ministres, impliqués eux-mêmes dans le secteur agricole, qui défendent les intérêts économiques et politiques de l’agrobusiness en grande partie des grands propriétaires terriens.

[2SCHWARTZMAN, S., MOUTINHO, P., & HAMBURG, S. (2012). « Policy Update : Amazon deforestation and Brazil’s forest code : a crossroads for climate change ». Carbon Management. Vol.4. n3. p. 341-343.

[3WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[4ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[5ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[6WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[7WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[8ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[9WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[10ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[11SCHWARTZMAN, S., MOUTINHO, P., & HAMBURG, S. (2012). « Policy Update : Amazon deforestation and Brazil’s forest code : a crossroads for climate change ». Carbon Management. Vol.4. n3. p. 341-343.

[12TOLLEFSON, Jeff. (2012). « Brazil set to cut forest protection ». Nature News. 1er mai. En ligne [http://www.nature.com/news/brazil-set-to-cut-forest-protection-1.10555

[13WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[14ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[15ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[16WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[17WWF Brazil . (2011). « Código Florestal, entenda o que está em jogo com a reforma da nossa legislação ambiental ». 17 pages

[18ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[19LEWINSOHN, T.M., et al. (2010). « Impactos potenciais das alterações propostas para o Código Florestal Brasileiro na biodiversidade e nos serviços ecosistêmicos » Biota neotropica. Vol.10. n4. 12 pages.

[20SPAROVEK G., BARRETTO A., KLUG I., & BERNDES,G. (2010). « Considerações sobre o Código Florestal brasileiro ». Université de Sao Paolo. 7 pages.

[21SPAROVEK G., BARRETTO A., KLUG I., & BERNDES,G. (2010). « Considerações sobre o Código Florestal brasileiro ». Université de Sao Paolo. 7 pages.

[22SPAROVEK G., BARRETTO A., KLUG I., & BERNDES,G. (2010). « Considerações sobre o Código Florestal brasileiro ». Université de Sao Paolo. 7 pages.

[23ICONE (2011). « Agricultura, Conservação Ambiental e a reforma do Código Florestal ». Avril. 23 pages.

[24SPAROVEK G., BARRETTO A., KLUG I., & BERNDES,G. (2010). « Considerações sobre o Código Florestal brasileiro ». Université de Sao Paolo. 7 pages.