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Le smog à Manille : du culturel au durable.

lundi 31 décembre 2012

Tu ne bronzeras point, au cœur de la grande Manille. Ma fainéantise à pratiquer le bain de soleil et mon ennui à m’étaler paresseusement sur une serviette n’est, cette année, plus à blâmer. J’ai trouvé le parfait coupable de ma sempiternelle blancheur : le smog.

À Manille, le jour est gris et la nuit est rose. La ville s’agite sous son chapeau de pollution. Les préoccupations environnementales et sanitaires s’immiscent dans les conversations courantes. Et pourtant, les pollueurs sont souvent des acteurs indispensables de la société manillaise. Il est alors possible d’observer une rupture entre le culturel et le durable.

Cette idée peut d’abord s’illustrer avec l’exemple de l’air conditionné. Il est le premier des luxes aux Philippines, et pour cause. Dans un pays où seules deux saisons se poursuivent, où la température moyenne durant la saison sèche est de 34 degrés et durant la saison des pluies de 29 à 31 degrés, où les facteurs humidité, faible ventilation et pollution forment une température ressentie moyenne de 32 degrés en permanence, l’archipel est confronté à un été éternel. La climatisation, alors, amène l’hiver dans la fournaise, mais mène à une catastrophe écologique : sa réputation polluante n’est plus à faire.

Malheur à vous, touristes ignorants, si votre désir de vous échapper quelques jours de la turbulente Manille vous pousse dans un bus Air Con ! Prévoyez écharpes et bonnets ! La température dans les transports ou autres aires publiques peut parfois descendre jusqu’à quinze degrés. Sachant que la densité du trafic est un fléau à Manille et que ne serait-ce que traverser la mégalopole peut parfois prendre plusieurs heures, imaginez donc le choc thermique ! L’Air Con rôde. Il est partout. Alors que nous attendions un avion depuis quelques heures déjà dans un aéroport de province, et que frigorifiée, je suppliais mes connaissances de me dénicher un pull-over, je m’agace et demande à mon amie pourquoi diable user abusivement de la climatisation jusqu’à l’absurde. « Mais il fait froid au Canada aussi, non ? » me réplique-t-elle innocemment. Elle a raison, me diriez-vous. Or voilà, cela peut paraître bête, mais quand il fait quinze degrés chez moi, et bien j’allume le chauffage.

L’air conditionné est donc la solution pour contrecarrer la chaleur permanente. Il permet aux Philippins de profiter de la fraîcheur des aires intérieures pour se promener tout en évitant le soleil, l’ennemi national. Nombreux sont les Manillais à parcourir les allées des centres commerciaux, ou malls, durant les fins de semaines. Ces promenades sont sans but lucratif, mais pour éviter de transpirer, de bronzer, de suffoquer sous la pollution, ou de subir les pluies torrentielles bref, pour fuir ce qui définit en grandes lignes le climat aux Philippines. Les habitants de Méga Manilla ont-ils développé une forme de culture contre nature qui pourrait être, l’une des multiples causes de l’air hautement pollué de la mégalopole ? La pollution y serait-elle alors en partie culturelle ?

En effet, de nombreuses facettes de la culture manillaise illustrent un rejet rigoureux des désagréments dus au climat. En plus des malls qui troquent la vie citadine à l’air libre pour le conditionnement et le contrôle des aléas naturels souvent rudes, le bronzage est un facteur de stratification de la société. Il révèle une vie extérieure, et donc, une vie de pauvreté. Chaque crème de soin corporel, par exemple, détient des agents blanchissants : la blancheur est la marque de beauté et de richesse suprême. Les règles s’inversent, à l’autre bout du monde, mais les logiques sont les mêmes une fois qu’une société est suffisamment développée pour se donner l’impression de se contrôler elle-même : l’herbe est toujours plus verte ailleurs.

Plus encore : les Manillais marchent peu. À Manille, la walking-distance est un trajet pour les aventureux qui se doit d’être de très courte durée, au risque de bronzer, ou pire, de transpirer. Ainsi, pour chaque distance de déplacement, il existe son moyen de locomotion dans la hiérarchie des transports publics : la tricycle-distance, la jeepney-distance, la bus-distance, la train-distance (soit le métro). Les tricycles et les jeepneys sont les transports de proximité emblématiques des Philippines. Les premiers sont tout particulièrement illustratifs de l’idée de pollution culturelle : ces side-cars ne sont utilisés que pour les déplacements très courts au sein d’un même quartier, déplacements que nombreux de chez nous se contenteraient de faire à pied. L’obtention d’une licence de tricycle-driver est relativement facilitée. Aussi, une même licence et un tricycle peuvent être utilisés officiellement le jour et officieusement la nuit. Les Philippines sont un pays pauvre où règne le sous emploi : ce type d’activité est voué à multiplication. D’autant plus qu’il répond nécessairement à une certaine demande, soit celle créée en partie par le rejet farouche de tout effort et d’exposition à la température extérieure. Les transports en commun à Manille, sont, finalement, hautement développés, détenant une organisation interne bien à eux, voir même efficace si abstraction est faite du chaos formé par le trafic.

Or la résultante de cette structure autodidacte est l’aggravation de la rudesse de la température ressentie à l’intérieur de la mégalopole, ayant pour cause évidemment, l’effet de serre qui sévit localement. En effet les tricycles, tout comme les jeepneys, sont des véhicules qui fonctionnent à l’aide de moteurs issus de l’an quarante (au sens propre) dont l’émission d’agents polluants est exorbitante. Fuir la pollution, fuir le climat : voici les ingrédients d’une une course paradoxale et écologiquement peu durable. Il est indéniable que les conditions socio-économiques que requiert un éveil des consciences collectives vis-à-vis des questions environnementales ne sont pas atteintes à Manille. Il n’empêche que la manière dont les différentes sociétés d’aujourd’hui s’adaptent et acceptent les données climatiques de leurs pays mérite réflexion quelque soit leur taux de développement. Et à Manille cette réflexion surgit aussi, à la fin de la pluie, lorsque la pression, la chaleur et la pollution sont tombées, et qu’il est alors possible de percevoir l’odeur de ce qui devait être la véritable odeur de Manille quelque part avant la révolution industrielle.