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Lutte des peuples autochtones

« Depriving indigenous peoples of their ancestral lands will mean the complete loss of their identity as distinct peoples. » - José Mencio Molintas

jeudi 13 février 2014

La recherche que nous avons réalisée afin de cerner notre sujet de documentaire nous a conduite dans la magnifique région de la Cordillera, dans la partie nord de Luzon. Nous y avons trouvé des gens d’une gentillesse incroyable, à l’hospitalité rarissime. En étant à ma première expérience de terrain, je ne savais trop à quoi m’attendre, comment procéder pour rencontrer les gens, etc. Mais ces inquiétudes se sont résolues d’elles-mêmes, alors que ce sont les gens qui sont venus à nous, ne souhaitant qu’une chose, échanger.

Exception à la règle : le barangay Ucab. Je me suis surprise à ne pas me sentir la bienvenue, alors que jusque-là, c’était bien le sentiment inverse qui m’habitait. Effectivement, les gens nous ont craints, car ils nous soupçonnaient d’être des journalistes, ou encore d’être affiliés aux grandes compagnies minières étrangères : une véritable menace à la survie de leur mode de vie ancestral. Les richesses naturelles qui les entourent sont très convoitées par les multinationales et les politiques du régime encouragent un modèle de développement extractif.

Le résultat ? Les habitants de la province de Benguet s’en retrouvent victimes et se voient dépossédés de leurs terres.

Composées de plus de 1,5 millions d’individu, les communautés autochtones de la région de la Cordillera se battent depuis plus d’une centaine d’années contre les compagnies minières venues exploiter les ressources qui se trouvent sur leurs terres ancestrales [1]. La région est la plus riche en ressources naturelles de tout le pays et est reconnue essentiellement pour ses abondantes mines d’or, son sous-sol riche en minéraux, ses forêts de pins, ses sources d’eau, tous des éléments que les communautés autochtones ont su mettre à profit afin de vivre d’agriculture et d’exploitation minière à petite échelle [2]. Depuis la fin du 19e et le début du 20e siècle, ces dernières combattent la présence grandissante d’entreprises occidentales, venues exploiter la richesse de la région, en dépit des conséquences majeures que leurs activités ont sur les communautés. Le principal secteur d’activité présent dans la région est l’exploitation minière. Une pléiade de lois a été mise en oeuvre afin de favoriser l’arrivée de multinationales sur le territoire philippin et de leur donner accès à des territoires d’une superficie gigantesque et empiétant plus souvent qu’autrement sur des terres ancestrales.

Ces problèmes d’accaparement des terres et de non-reconnaissance de l’occupation ancestrale de ces terres par les communautés autochtones ne datent pas d’hier. Ces dernières années, l’administration du président Aquino n’a pas su résorber les tensions. Effectivement, plusieurs groupes de défense des autochtones comme Cordillera Peoples Alliance (CPA) et Philippine Task Force for Indegenous People, décrient les actions du gouvernement et accusent ce dernier de bafouer de plus en plus leurs droits Lors de son investiture, Aquino a reçu le IP Agenda, document dans lequel les différents groupes autochtones mettent de l’avant les demandes et les critiques qu’ils ont vis-à-vis les autorités du pays. Leurs doléances n’ont pas été entendues. Lors d’une allocation l’été dernier, Windel Boliget, président de la CPA, a déclaré : « Aquino had never listened to the plight of IPs, nor did he respect their rights to their own lands, nor their right to self-determination. »

Les groupes de défense des droits des autochtones aux Philippines parlent généralement, pour qualifier les actions du gouvernement à leur endroit, de « development agression ». Ce terme fait référence à l’ensemble des actions qui minent le bien être des communautés autochtones, que ce soit relativement à leur culture, leur environnement et leurs droits en général. À une époque où l’économie du pays est basée sur un paradigme de développement extractif, les habitants des régions riches en ressources naturelles comme l’est la Cordillera, sont victimes de la dominance des investisseurs étrangers et la menace constante d’expropriation. Au-delà de l’exploitation minière, qui par ailleurs est une part très importante du litige, de nombreuses autres activités minent le respect des traditions autochtones comme par exemple la construction de barrages, l’exploitation agricole à grande échelle, l’utilisation de ces récoltes pour en faire des bio-carburants, etc [3].

D’aucuns soutiendront, avec raison d’ailleurs, que les activités des entreprises étrangères et mêmes nationales ont aussi d’importants impacts négatifs sur l’environnement et bafouent les droits des communautés autochtones. Également, ce que revendiquent les leaders de ces communautés, réunis à Manille en août dernier pour commémorer le International Day of the World’s Indigenous Peoples et pour discuter du prochain IP Agenda, c’est le droit à l’auto-détermination, à la reconnaissance de leurs territoires ancestraux et à la préservation de leurs traditions. Ces traditions sont basées sur leurs relations avec l’environnement, leurs croyances et pratiques ancestrales. Négliger le rapport que ces communautés entretiennent avec leur environnement c’est de mettre à mal leur survie. L’influence culturelle occidentale ainsi que la présence de plus en plus importante de migrants (internes) venus à la recherche de travail [4] ont contribué à la perte de l’authenticité de la culture autochtone [5]. La terre définit leur existence, c’est la raison pour laquelle l’appropriation de cette dernière par des compagnies étrangères ou même nationales met leurs moyens de subsistance, tout comme leur culture, en péril.

***

Barangay Ucab, juin 2013. Ate Agusta, femme admirable et mère monoparentale vivant de « small-scale mining », prépare du café alors que l’on vient de terminer notre entrevue avec elle. Maintenant que tout est enregistré et que la caméra est rangée, elle nous fait signe que nous pouvons ouvrir les fenêtres et se faire moins discret.


[1Cordillera Peoples Alliance. « Earth, Exploitation and Survival ». www.unpo.org/images/EES/cordillera article(final).pdf (page consultée le 12 octobre 2013).

[2Jose Mencio Molintas, « The Philippines indigenous peoples’ struggle for land and life : challenging legal texts », Arizona Journal of International and Comparative Law 21:1 (2004), p.269-305

[3Marya Salamat, « Indigenous Peoples deplore Aquino Gouvernment Snub of Their Agenda », (2013) En ligne. http://bulatlat.com/main/2013/08/27/indigenous-peoples-deplore-aquino-government-snub-of-their-agenda/ (page consultée le 20 octobre 2013).

[4Marya Salamat, « Indigenous Peoples deplore Aquino Gouvernment Snub of Their Agenda », (2013) En ligne. http://bulatlat.com/main/2013/08/27/indigenous-peoples-deplore-aquino-government-snub-of-their-agenda/ (page consultée le 20 octobre 2013).

[5Jose Mencio Molintas, « The Philippines indigenous peoples’ struggle for land and life : challenging legal texts », Arizona Journal of International and Comparative Law 21:1 (2004), p.269-305