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Premières semaines au Malawi

mercredi 29 août 2012

Ça fait presque treize jours que Jamie et moi sommes débarquées à Mangochi, au Malawi, et que je m’habitue tranquillement à être un extraterrestre. Ou, plutôt, les Malawiens et Malawiennes qui nous voient passer commencent à s’habituer à avoir des extraterrestres (« azungus » - personnes blanches) parmi eux.

Au début, ce n’était pas facile : quand nous sortions de l’endroit où nous demeurons, nous nous faisions carrément entourer ; les gens riaient de nous (et non pas avec nous !), et le seul mot qu’on comprenait (et qui se faisait entendre le plus souvent), était « azungu ! ». Je me suis donc mise à croire qu’on me détestait (passé colonial, impérialisme, exploitation du Sud par le Nord, je suis blanche et je ne peux pas le cacher – oui, j’ai essayé, j’y reviendrai peut-être plus tard, et autres impressions rapides).

J’ai donc envoyé quelques courriels déprimés à des ami(e)s, et, dès que j’ai eu un cellulaire, je me suis informée de la manière de téléphoner au Canada. C’était un peu compliqué, et disons simplement que ça a commencé à coûter cher à mes parents. C’est (plus ou moins) gratuit pour moi, et quand c’est eux qui m’appellent, je leur ai assez explicitement fait comprendre qu’ils devaient absolument m’appeler. Souvent.
Sinon, je me réfugiais dans l’excellent livre d’Elizabeth Gilbert, "Eat Pray Love", qu’une amie très attentive m’a offert avant mon départ. Étais-je en train de vivre ce fameux « choc culturel » auquel, malgré les efforts généreux de l’AUCC, et malgré l’atelier qui a été offert à Toronto sur comment le gérer, je n’étais pas tout à fait préparée ? Je recommande tout de même fortement cet atelier, mais je crois que mon choc culturel était/est une mutation du choc auquel je me préparais.

Disons que je suis heureuse d’avoir amené avec moi les pilules contre la malaria qui coûtent le plus cher, et qui ont donc le moins d’effets secondaires : MALARONE. J’ai lu que l’autre médicament que les gens utilisent souvent contre la malaria (Mefloquine ? – je ne suis plus sûre) exacerbe, entre autres, les tendances dépressives, et quelqu’un m’a dit qu’un de ses amis qui prenait ce médicament faisait des rêves dérangeants (liés à la mort). Je suis donc contente de ne pas avoir vécu une version exacerbée de mon état d’esprit des quelques premiers jours.
Revenons à comment j’essayais de dissimuler, même juste un peu, ma blancheur : nous sommes dans un pays où, pendant un bon moment, et jusqu’à assez récemment, les femmes devaient porter de longues jupes ou robes, et non des pantalons. Puis, contrairement au reste du Malawi, où la majorité de la population est chrétienne, la majorité des gens à Mangochi sont Musulmans. Alors, après avoir passé ma première journée entière à Mangochi en joggings (j’ai oublié de mentionner qu’il fait très chaud ici – nous sommes dans une vallée), j’ai cédé à l’idée d’acheter une longue jupe. La seule que j’ai trouvée qui me convenait, était de taille XXL (mais un petit XXL), noire, et très longue. Puisque mon « pacsafe » me faisait comme un ventre supplémentaire auquel la jupe pouvait s’accrocher, je l’ai achetée. D’ailleurs, maintenant, malheureusement, mon vrai ventre est disparu je ne sais où. On se fait beaucoup avoir, côté prix, puisqu’on est blanches, mais comment expliquer à quelqu’un qui ne parle pas anglais que, selon les standards canadiens, nous sommes de pauvres étudiantes qui ont un budget serré ?

Dans les jours qui ont suivi, j’ai acheté du matériel qu’on peut enrouler et attacher autour de la taille, en guise de jupe, puis deux fichus qu’on peut utiliser pour dissimuler les cheveux. Ayant rarement canalisé ma patience vers l’élaboration de coiffures trop compliquées, je n’ai pas réussi à « pogner le truc ». Donc, trois journées d’humiliation publique ont suivi : 1ère journée : « on dirait que t’as deux têtes » ; 2ème journée : « c’est pas pire… Un turban ? » ou bien, de la part d’un passant, sur un ton sarcastique mais pas entièrement méchant, je crois, « Haha, you look like a real Malawian girl ! » ; 3ème journée : « j’aimais mieux le turban ». Ensuite, la dame qui travaille au café internet -qui n’est pas un café- a demandé (en Chichewa, bien sûr) à l’une des membres de l’ONG pourquoi ils me forçaient à m’habiller comme ça. On lui a répondu qu’ils n’avaient rien fait de la sorte, et j’ai donc abandonné, pour finir par me promener les cheveux attachés. Quand nous avons visité le Muasa Group, un groupe de femmes dans une région plus fortement musulmane (dont je parlerai davantage dans les prochaines semaines), elles ont encore ri de ma tentative, et m’ont offert de l’aide.

Étudiantes ou pas, nos moyens dépassent largement ceux de la majorité des gens que l’on croise. Le Malawi est en plein crise du pétrole. M. Mfune, le directeur de l’ONG qui nous a accueillies qui est super, très gentil, et, surtout, très patient nous en a expliqué la raison. La valeur du MK (Malawi Kwacha) baisse, car l’achat du carburant, qui coûte très cher, se fait avec la monnaie étrangère – soit les dollars américains. En ce moment, un dollar américain vaut environ 300 MK, mais ça change à tous les jours, puisque la valeur de cette devise flotte. On prévoit que les mois d’octobre et de novembre seront très difficiles pour la majorité des Malawiens et Malawiennes : les prix des commodités semblent monter du jour au lendemain. C’est très inquiétant, puisque, par exemple, Jamie a été informée que les gardes de sécurité qui travaillent au Collège de médecine font seulement 6000MK par mois. Si je me rappelle bien, une personne qui vend ses produits au marché (où l’on peut acheter fruits, légumes, poissons, graines, haricots, etc.), fait environ 20MK par heure. Il ne faut même pas se référer à ce genre de statistiques pour comprendre que la pauvreté est la règle : je ne sais pas jusqu’à quel point je devrais aller dans les détails, mais c’est quelque chose que l’on voit et que l’on ressent. Par exemple, des stagiaires en médecine que nous avons rencontrées m’ont dit qu’à l’hôpital, où il y a environ 700 accouchements par mois, mais seulement 10 lits pour ces derniers. Les femmes qui sont dans les derniers moments de leur grossesse attendent un peu partout, même à terre, dehors, jusqu’au moment où leurs contractions deviennent très fortes. Lors d’une panne d’électricité récente (évènement assez fréquent en soi), deux femmes qui devaient avoir une césarienne ont dû attendre, car ça ne se pratique pas dans le noir. Néanmoins, la résidence dans laquelle je vis, sur le même terrain, à quelques mètres de l’hôpital, a un générateur, et toutes mes lumières fonctionnaient.
À proximité du Collège de médecine, il y a deux rues qui se croisent : la plus grosse est en asphalte, puis l’autre est faite de sable. La première est longée de magasins comportant des noms plutôt anglais, où tout semble être importé et de mauvaise qualité : des choses que nous ne vendons plus dans le monde « développé », ou, si oui, qui se trouvent dans les magasins qui visent des populations plutôt démunies. On y trouve tous les produits : pour la cuisine, pour la salle de bain, des aliments transformés, etc. L’autre rue, beaucoup plus étroite (mais des autos y passent quand même, de temps en temps), est longée de petits commerces – des mini structures ressemblant à des grosses boîtes, serrées les unes contre les autres, où l’on trouve plutôt des vêtements (presque tous importés, on dirait), mais aussi des produits pour la maison, pour la cuisine, etc. Certaines personnes vendent leurs fruits et légumes sur le bord de cette rue, ainsi que des graines de maïs, mais la majorité de ces produits comestibles se trouvent au marché que j’ai mentionné plus tôt : une grosse structure blanche, ouverte, mais comportant un toit, avec de longues rangées de comptoirs, où, dépendamment de la section dans laquelle on se trouve, on peut acheter soit des fruits et légumes, ou du poisson, du riz, etc.

Les moyens de transport les plus communs sont nos propres jambes, ou bien des bicyclettes comportant un siège supplémentaire derrière le siège principal : je refuse d’embarquer sur une bicyclette où le siège supplémentaire (« guest seat » pourrait être un nom intéressant) ne comporte pas de poignées. Toutefois, je crois avoir maîtrisé l’art de paraître « zen » sur ces machines qui me semblent tellement instables. Non seulement il y a le poids de deux personnes dessus, mais mon sac à dos, qui pourrait compter comme une troisième petite personne. Si l’on trouve que le chauffeur va un peu vite, où qu’il roule dans le sable et qu’après un virement abrupte une pente presque verticale (en sable) apparaît, il faut simplement fermer ses yeux et se mettre à croire que la vie repose tranquillement dans les mains du destin, et que, de toute façon, nous allons tous mourir un jour. Ou, si l’on est moins intéressé par le développement spirituel de soi, on peut se distraire (ainsi que le chauffeur) en faisant ce que j’ai fait hier : en apprenant le Chichewa (langue principale au Malawi) avec le chauffeur. J’ai appris les mots « courir », « marcher », « bicyclette » et « auto ». Malheureusement, je me rappelle juste du mot « bicyclette » : jinga (ça se prononce comme ça). Puis j’ai pratiqué, à voix haute, et parfois aux bons moments, les mots que j’avais appris de M. Mfune juste avant d’embarquer sur la bicyclette, qui sonnent comme suit : « imani », « pitani », « mazere » et « mandja » - stop, go, left, right. Ce fut une bonne manière de canaliser le stress généré par cette forme de transport en commun, surtout qu’il commençait à faire noir. Ici, quand il fait noir (vers 18h), il fait noir. Le soleil descend presque d’un coup, et c’est fini. Par conséquence, les gens se lèvent vers six heures du matin, voire plus tôt.

Par contre, pour faire justice aux chauffeurs de ces bicyclettes, il faut mentionner que je n’ai pas eu d’accident (et je vais continuer de me dire que je n’en aurai pas). Je n’ai même pas été témoin d’un accident : ils sont super habiles – je considère que je sais bien conduire une bicyclette, mais dans le sable, c’est une toute autre histoire, puis ici, le sol est souvent fait de sable ; c’est bon pour l’environnement ; et, quand on ferme (mais pas trop longtemps) les yeux, et qu’on « laisse sa vie dans les mains du destin », c’est détendant.

Parlant d’environnement, il n’y a pas vraiment de système de gestion des déchets ici. Les ordures vont un peu partout, mais surtout dans des fosses qui longent souvent les bords des rues. Celles qui se trouvent à côté de la grosse rue dont j’ai parlée plus tôt sont pas mal profondes, et ça fait tout simplement peur quand les chauffeurs des bicyclettes les passent à environ deux pouces, et que je me trouve, impuissante, sur l’une de ces bicyclettes. Impuissante, car même si j’avais la possibilité de sauter de la bicyclette avant que quelque chose arrive, la motricité de mes jambes est malheureusement très restreinte par le paramètre établi par mes longues jupes, ou par le matériel que je porte enroulé autour de ma taille et de mes jambes (comme un sarong).

De ce que j’ai compris pour l’entreposage des déchets, ces derniers sont brûlés, ou amenés dans la forêt. Il n’y a pas non plus de système de recyclage. Ici, je m’assume : je contribue malheureusement aux effets néfastes que ce dernier problème comporte pour l’environnement. Notre super filtre UV high-tech a cessé de bien fonctionner, et donc je bois seulement de l’eau en bouteille. Reste la question de savoir si le filtre était déjà brisé, ou si c’est moi qui l’ai brisé, en l’échappant – mais il était dans trois contenants, dont celui du milieu était mou, et celui de l’extérieur était dur, lorsque j’ai entrepris d’aider une dame à pomper de l’eau, une journée où il n’y avait ni électricité, ni eau courante. Je crois sincèrement que le filtre était déjà brisé, et que le fait de l’avoir échappé, d’une très petite hauteur, dans trois contenants, a attiré notre attention sur le fait qu’il commençait à fonctionner mal.

En ce moment, nous n’avons pas encore vraiment travaillé, sauf hier, quand nous avons révisé, en partie, une proposition écrite par l’ONG pour un projet touchant à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes au Malawi. S’il est accepté, SEEED Malawi recevra 300 000 $ (US) de l’Union Européenne et du UNFPA, et le projet durera trois ans. Mais pour l’instant, je sais que je travaillerai sur les sujets du VIH/sida et de la situation des femmes. Nous avons visité certains des endroits où nous (ou l’une de nous) allons travailler, puis nous avons serré la main de gens avec qui nous serons en contact. Nous avons aussi rencontré le député de Mangochi à une fête qui a eu lieu, samedi passé, sur le terrain où il habite. Il nous a croisées, avant-hier, et nous a invitées à souper au bord du lac Malawi, dans un « resort », le soir même. Ayant été assurées par M. Mfune que c’était OK, nous y sommes allées. Nous étions, en tout, quatre, avec un ami du député. La conversation était intéressante : elle tournait autour du système politique malawien, de la culture, de comment nous, deux étrangères, nous sentions ici, du cheminement du député, etc. La nourriture et le vin étaient bons, et j’ai vu, pour la première fois, je crois, des chauves-souris. On m’a assurée qu’elles n’étaient pas dangereuses. Et je me suis dit que si le député et son ami mangeaient de la viande, je pouvais manger de la viande. Donc j’ai commandé du chambo, un poisson très populaire ici, frit, donc tout ce qui aurait pu me rendre malade était au moins triplement neutralisé.

Après seulement quelques jours de dépaysement et après avoir été sous la fausse impression que tout le monde me détestait parce que je suis blanche, et quand j’ai cessé de me ridiculiser avec mes tentatives de turbans ou de je ne sais trop quoi, j’ai commencé à mieux me sentir, et je me sens à l’aise, depuis même la première semaine, de me promener seule (le jour). Malgré que, la toute première fois que j’ai entrepris cela, j’ai eu la malchance de me faire suivre par un monsieur parfois sympathique, parfois on aurait dit agressif, mais surtout, un peu fou, qui voulait de l’argent, car il avait faim. Sinon, comme les gens de l’ONG et Clement (le député), nous ont expliqué, ce que nous subissons de la part des gens n’est pas, dans la plupart des cas, du mépris, je crois, mais plutôt de la curiosité, car il n’y a pas beaucoup de personnes blanches ici – sauf à l’hôpital, sur le terrain duquel nous restons, où il y en a quelques unes. Les cris d’ « azungu ! » ne sont pas hostiles, et depuis que je m’y suis habituée, et que j’ai pu vraiment regarder les gens en face, je n’ai plus cette impression que j’avais au début ; d’être méprisée.

Néanmoins, nous demeurons dans un endroit où les inégalités entre les femmes et les hommes sont très grandes – sujet que j’adresserai en plus de détail et plus souvent dans le futur, puisque ce sera l’un des points principaux sur lesquels je compte me concentrer lors de mon séjour. Donc pour l’instant, en marchant dans la rue, certes, il est parfois désagréable de passer à côté de certains hommes. Comme dans n’importe quel pays, il faut le dire, sauf que les manières utilisées pour attirer l’attention ici sont parfois différentes des techniques répandues parmi les hommes au Canada. Pourtant, c’est un sentiment auquel en ce moment, lorsque je suis encore en train de m’adapter, je tente peut-être de mettre de côté. J’y porterai plus attention dans le futur, mais un autre problème plus pressant est que mon Chichewa est plus que limité. Je ne peux donc pas comprendre ce qu’ils crient, ni pourquoi ils rient, quand ça arrive. En général, je maintiens tout de même que les gens que je rencontre sont très chaleureux, et, souvent, des personnes que je ne connais pas, ainsi que les enfants, me saluent dans la rue, ou me sourient, ou me demandent comment ça va. La deuxième fois, je crois, que je suis débarquée seule de l’endroit où je vis, pour aller à la boulangerie, et que j’étais encore un peu terrifiée, quatre ou cinq petites écolières tout à fait adorables ont fait un bout de chemin avec moi, et j’étais vraiment émue. J’en ai croisée une, avant-hier, et elle se souvenait de mon nom. Les gens se souviennent facilement de mon nom, car « mayamiko » (ça se prononce comme ça), est un mot utilisé pour remercier, mais dans un sens plutôt religieux, alors « to give thanks ».

Pour conclure, les quelques premiers jours ont été très stressants et difficiles, mais après moins d’une semaine, ça s’est mis à se passer de mieux en mieux. Je me suis vite habituée aux moustiques, aux fourmis et aux lézards, même quand l’un de ces derniers décide de se poser sur le mur de la salle de bains lorsque j’y suis. Je ne m’attends plus à ce que les chèvres qui se promènent sur et à côté de la rue soient, en fait, des chiens et des chats. Quand j’entends « azungu », je fais bonjour de la main à l’enfant (maintenant ce sont plus souvent des enfants qui s’adressent à nous comme ça) qui m’interpelle, et il ou elle me répond avec un sourire et un signe de la main. J’ai hâte de commencer à travailler sur les projets de l’ONG, puis j’ai envie de voir un peu plus le Malawi : M. Mfune nous a accueillies à l’aéroport, et, malgré la fatigue mortelle dont j’étais prise, je n’ai pu m’empêcher de passer la plus grande partie du chemin que nous avons fait en auto entre Lilongwe, la capitale, et Mangochi, à être émerveillée par les paysages qui se déroulaient devant mes yeux. Tout était teinté d’or, et l’effet était surtout magnifique lorsque nous passions les montagnes, surtout dans la région de Dedza, qui est une région plus montagneuse. Et le soleil fut d’un rose éclatant, et légèrement orangé, avant de se coucher.