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The Third World Studies Center : un centre de recherche pas comme les autres

entrevue avec Elinor May Cruz

vendredi 28 décembre 2012

Le Third World Studies Center (TWSC), centre de recherche en sciences humaines et sociales de l’Université des Philippines (UP), ne paye pas de mine. Situé au sous sol du College of Social Sciences and Philosophy, il est presque possible de passer à côté sans le remarquer. Et pourtant, dès qu’un forum ou une conférence s’organise et a lieu au centre, la grande salle est pleine. Le TWSC a su conserver une singularité et une réputation issue de son histoire : il s’érige en représentant du contre pouvoir à l’Université des Philippines. Il est celui qui, traditionnellement, abritait les idées radicales sous la dictature de Marcos. Aujourd’hui, il a su se redéfinir comme autorité de recherche, en parallèle à son histoire, tout en conservant l’indépendance académique léguée par ses fondateurs. Les propos d’Elinor May Cruz recueillis ci-dessous, première assistante de recherche au TWSC et actuellement en maîtrise de sociologie, expriment très bien cette idée de redéfinition, mais aussi comment la structure académique et conceptuelle régnant au sein d’une Université peut devenir une jolie métaphore de la structure politique d’un État.

Clémence Hallé (CH) : Comment est-on admis au TWSC ?

Elinor May Cruz (MC) : Le centre s’articule autour de quatre activités principales : un programme de recherches, un entraînement pour défendre ses thèses, l’organisation de forums et des conférences, et les publications. Le centre recrute alors sur l’expérience du candidat dans l’un ou plusieurs de ces domaines. Ce sont des critères assez simples.
(…) Non, nous ne sommes pas recrutés sur nos opinions politiques au TWSC. Auparavant, le TWSC était confiné à un système de pensée à gauche, marxiste. Il arrivait souvent qu’il soit confondu avec un groupe d’opinion ayant pour but de mettre en place des politiques publiques suivant des intérêts personnels. Même si nous avons des projets de commission, ils sont toujours produits à travers une perspective académique. Nous prônons la liberté académique certes, mais à travers un regard théorique. Nous souhaitons promouvoir l’idée que le centre ne se confine plus, aujourd’hui, à une perspective marxiste. Nous mettons en place des programmes de recherche sur la culture, les questions identitaires, et même actuellement sur le cyber-sexe ! Nous voulons être cohérents avec ce qui se passe aux Philippines aujourd’hui, et même en dehors de celles-ci.

CH : Alors quelle est cette liberté académique, ou ligne de conduite au TWSC, et d’où vient-elle ? Quelle est donc cette « histoire » ?

MC : La vision du TWSC est de promouvoir des discussions alternatives sur des enjeux critiques qui ne sont traditionnellement pas discutés. Ces discussions sont multidisciplinaires, nationales mais aussi globales, ce qui fait que le TWSC est une plate-forme intéressante pour organiser des conférences qui réfléchissent des sujets actuels de manière alternative. Nous sommes tous issus de disciplines différentes mais connectés à travers le centre.
Le centre a en effet une histoire de résistance. Dans les années 1970, un groupe de facultaires souhaitaient établir un lieu de rencontre pour réfléchir des idées radicales et critiques du régime de Marcos. Ils ne voulaient pas travailler au sein d’une plate-forme existante. Le doyen Francisco Nemenzo, qui est par la suite devenu président de l’Université des Philippines, est celui qui a rassemblé ces membres de la faculté pour réfléchir le néolibéralisme, l’impérialisme, le marxisme, et autres sujets sociopolitiques. En vingt ans, ce programme s’est imposé en véritable centre de recherche. L’histoire radicale et critique de l’établissement du centre est toujours fortement présente et prévalente ici aujourd’hui.
Je vais donner deux exemples qui illustrent parfaitement le fait que nous conservons notre esprit critique traditionnel au sein de nos recherches : d’abord, nous avons mis en place une étude sur le plagiat à l’Université, défini comme un vol académique. Cette étude implique une critique interne de l’Université des Philippines en tant qu’université nationale. En effet, nous entendons rarement les médias parler du plagiat, surtout à UP, la « meilleure des universités » aux Philippines : nous avons fait le pas de critiquer les pratiques des étudiants et des membres facultaires.
Ensuite, nous avons organisé un forum la première semaine de septembre dont le thème se résume à travers l’idée que ce qui est accepté au sein de UP prévaut également pour l’État, soit une critique de l’université en tant que micro société représentative de la société aux Philippines.

Voir plus d’informations sur ce forum ici :
http://uptwsc.blogspot.fr/2012/08/may-tubo-ba-ang-pagtulong-ng-up-what.html

Ce forum est une critique active qui montre comment notre histoire est toujours présente au sein de nos recherches et de nos projets. Une anecdote vis-à-vis de ce forum exprime parfaitement le rapport que UP entretient avec le centre : le titre du forum était auparavant simple et peu polémique. L’actuel président de l’université avait accepté d’introduire le forum. Or nous avons modifié ce titre pour celui-ci (qu’il est très difficile de traduire du tagalog au français) : « Est-ce que l’Université des Philippines est la sauveuse nationale ? Y a-t-il une motivation gouvernementale au sein de UP, serait-elle au service du pouvoir public ? », tandis que le sous titre fut changé par : « Quel service public au sein de l’université nationale ? ». Lorsque nous avons mis en place les modifications de ces titres, le président de UP a changé d’avis et a soudainement refusé de participer au forum. Par pur esprit de contradiction, nous avons alors invité l’ancien président de UP et fondateur du TWSC, Francisco Nemenzo, à introduire le forum à sa place, qui a accepté l’invitation avec beaucoup d’enthousiasme.

CH : Quid du nom du centre, le Third World Studies Center ? On dit dans le monde des sciences sociales que le terme Third World est quelque peu dépassé pour parler des pays « sous-développés » ou autres terminologies un tantinet impérialistes. Y a-t-il une raison idéologique, polémique ou seulement pratique à conserver le nom du centre ?

M.C : Ce qu’il faut comprendre, c’est que la terminologie Third World est issue des discours tenus durant la guerre froide et appliquée par Francisco Nemenzo dans les années 1970. Nous savons que le nom du centre est dépassé, nous avons déjà tenté de le changer par le passé. Or le TWSC est un réseau immense, nous avons craint d’amener de la confusion au sein de ce réseau si nous changions le nom du centre. Alors nous avons opté pour l’idée de tenter de redéfinir les implications sous-jacentes au terme Third World plutôt que de changer de nom. L’idée de Third World ne s’adresse pas à un pays pauvre mais tend à rendre distinct un pays, une zone géographique ou un ensemble de pays partageant des conditions socioéconomiques et politiques. Il existe un pouvoir dans l’action de nommer, et c’est ce pouvoir que nous tentons de mettre en valeur.