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Tourisme Durable

mercredi 29 janvier 2014

On m’avait tellement parlé d’El Nido. Ce petit coin de paradis au nord de l’île de Palawan, dans les Visayas, est, paraît-il, une destination à ne pas manquer. Il ne m’en fallu pas plus pour être convaincue qu’une escale là-bas ferait partie de mes plans avant de quitter ! Bien que particulièrement excitée à l’idée de m’y rendre, je continuais à appréhender cette escapade, en m’imaginant des plages bondées de touristes blanc-pinte-de-lait, titubant à la tombée de la nuit, sachant à peine articuler un « merci » en filipino. Eh bien gare à moi et mes idées préconçues, car ce voyage a définitivement été l’un de plus beaux et a démenti tous mes préjugés initiaux, ou presque.

El Nido, à mon avis, est un des secrets les mieux gardés des Philippines. L’endroit reste méconnu des touristes occidentaux. Néanmoins, l’industrie du tourisme y est en pleine expansion. Au cours des dernières années, le nombre de touristes a explosé, atteignant le nombre record de 3,52 millions en 2010 [1]. Bien qu’encore modeste, l’industrie du tourisme a fait ses débuts après la Seconde guerre mondiale [2]. Malgré les multiples plans, réformes et projets amorcés par les différents gouvernements qui se sont succédés depuis ce temps, les Philippines n’ont pas su, jusqu’à maintenant, exploiter pleinement leur potentiel touristique aussi bien que les autres monstres asiatiques, comme la Thaïlande. On attribue d’ailleurs souvent le développement économique de cette dernière à l’essor de son industrie du tourisme. Cela étant dit, le success story thaïlandais doit être nuancé. En matière de tourisme durable, il s’agit d’un véritable échec [3].

Ma réflexion à propos du développement du tourisme aux Philippines et de ses effets potentiels sur les communautés locales a commencé bien avant mon arrivée à Palawan, mais en y posant les pieds, il devenait impossible d’éviter mes questionnements. Fidèles à leur habitude, les philippins ne vous dirons jamais que quelque chose leur déplait ou les contrarie. Rusés, les employés d’un des multiples diving shop au sourire contagieux ont habilement contourné les questions que je leur ai posées au sujet de l’impact du tourisme sur les habitudes de vie des résidents d’El Nido. Ils m’ont répondu que ça leur faisait bien plaisir de rencontrer des touristes, que les Philippins sont des gens chaleureux, fidèles à leur réputation et que le tourisme permet de créer de nouveaux emplois. Puis, ils se sont empressés de détourner la conversation : Are you married ?

Le problème, c’est que les emplois générés par le tourisme ont peu de retombées économiques indirectes, à l’extérieur du secteur touristique [4]. Ainsi, quelques dizaines de personnes se voient bénéficiaires de l’industrie du tourisme dans un endroit ciblé, alors que le reste de la communauté continue d’être laissée pour compte [5]. Aussi, une importante disparité s’est créée à la suite de mise en place de divers plans gouvernementaux ayant trait au tourisme, entre Manille et la périphérie, dues au fait qu’il n’y avait pas de suivi adéquat et que les politiques de tourisme durable n’ont jamais été mises en œuvre, malgré le Tourism Master Plan de 1989, qui avait pour objectif de promouvoir ce genre de tourisme [6].

À tort, le tourisme durable est généralement perçu comme un marché de niche, analogue au tourisme de plein air et d’aventure. Or, il s’agit plutôt d’un critère que tous les types de tourismes devraient remplir, qui a pour objectif d’assurer un avenir meilleur aux communautés en bénéficiant [7]. Mettre en place le nécessaire pour arriver à du tourisme durable requiert de nombreux changements et adaptations, ce qui est négligé lorsque l’industrie se développe rapidement. Il faut d’abord mettre le cap sur un objectif où trois dimensions sont prioritaires et respectées, à savoir environnementale, socio-culturelle ainsi qu’économique [8]. Dans cette optique, il ne faut pas oublier que le tourisme demeure un service, ainsi, la qualité de vie et d’emploi dont disposent les gens vivant de cette activité ne doit pas être négligée. Bref, le développement du tourisme, s’il est exécuté de façon réfléchie est un outil de croissance économique prometteur qui a le potentiel d’améliorer la qualité de vie des communautés avoisinantes. Aux Philippines, du moins pour les endroits que j’ai eu la chance de visiter, il était encore possible de sentir la sincérité et l’hospitalité des hôtes. Certainement, la rareté des touristes et l’absence de changements à trop grande échelle y est pour beaucoup.

Le président Aquino, dans un discours en juillet dernier, a réitéré son intention de poursuivre les efforts pour accroître l’affluence de touristes au pays. Son objectif est d’attirer 6,8 millions de touristes l’an prochain et 10 millions en 2016 [9]. Ces projections semblent on ne peut plus optimistes, surtout dans un contexte où le pays est dépendant de facteurs externes et que l’instabilité politique rebute les touristes. Le développement du tourisme aux Philippines se doit d’être durable et encadré de façon à ce que la qualité actuelle de ce dernier n’en perde rien et que les communautés locales puissent y participer et en bénéficier.

***
C’était notre première soirée sur la plage. Accompagnée de mes amis et de mon oncle, j’ai remarqué qu’ici, même la lune sourit. Je l’ai regardé et l’ai priée de s’assurer qu’on puisse toujours dire : « It’s more fun in the Philippines ».


[1« Nombre record de touristes aux Philippines en 2010 », (2011) En ligne http://www.7sur7.be/7s7/fr/9456/Tourisme/article/detail/1214530/2011/01/28/Nombre-record-de-touristes-aux-Philippines-en-2010.dhtml (page consultée le 15 octobre 2013).

[2Ramon Benedicto A. Alampay, Sustainable Tourisme : Challenge for the Philippines (Philippines : APEC Study Center Network et the Philippine Institute for Development Studies, 2005) 14.

[3Idem.

[4Miller, Graham et Louise Twining-Ward, Monitoring for a Sustainable Tourism Transition : The Challenge of Developing and Using Indicators (Angleterre : CABI Pub, 2005) 25.

[5Ramon Benedicto A. Alampay, Sustainable Tourisme : Challenge for the Philippines (Philippines : APEC Study Center Network et the Philippine Institute for Development Studies, 2005) 14.

[6Idem.

[7David Weaver, Sustainable Tourism (Burlington, 2008), 235 pages.

[8Idem.

[9Kate Evangelista. « Aquino sees 10M tourists coming to PH by 2016 », (2012) En ligne http://newsinfo.inquirer.net/234405/aquino-sees-10m-tourists-coming-to-ph-by-2016 (page consultée le 15 octobre 2013).