Blogue sur la recherche et la coopération internationale

Logo

Un des plus beaux souvenirs

mardi 8 avril 2014

Pour finaliser cette série de cinq textes de la meilleure des façons, je dois faire preuve d’un grand discernement : trouver le bon moment, ce moment, cette séquence événementielle qui synthétiserait le mieux toute la superbe de l’expérience bangladeshie.

Ce n’est cependant pas si difficile ! Je sais, je connais ce moment fort, clé, duquel il aurait fallu être fou pour vouloir sortir, duquel chaque seconde pourrait avoir le statut d’inoubliable souvenir, duquel, je l’espère, s’inspireront certains de mes éventuels lecteurs dans leur prochaine visite des terres du Bengale.

Ils scanderont haut et fort qu’il ne faut pas rester à Dhaka ! Ils ont terriblement raison. Elle n’est ni horrible, ni horrifique, mais elle a tout pour répugner ! Si j’ai pu développer un profond et complexe amour pour cette cité, certains en furent terrifiés au point de ne plus vouloir y revenir. Dhaka, c’est l’art de vivre à l’état pur, c’est une superbe, fine et raffinée sculpture de marbre blanc, qui siège au sommet d’un pic que le tumulte et les intempéries n’épargnent jamais. Pour toucher le galbe exquis de cette sculpture originelle, il faut savoir s’adapter, il faut savoir broncher sans tomber ; Dhaka, c’est une beauté qui fait mal.

La campagne, le countryside, à certains égards est très similaire à Dhaka. On y observe le même genre de situation qui peut parfois rendre la capitale désagréable, mais à plus petite échelle. Il est cependant assuré que l’expérience qu’on y vit est fort différente et, somme toute, plus agréable, plus relaxante, moins...troublante, sous certains égards.

Le moment qui synthétise le mieux mon expérience bangladeshie n’est donc pas à Dhaka, mais bine dans le sud du pays, à Munshiganjj, un petit village bordé par l’épique et unique forêt des Sundarbans.

En regagnant le Canada, j’ai quitté un univers parallèle dans lequel j’ai fait un effortt d’adaptation sans précédent ; en regagnant le Canada, j’ai redécouvert le monde qui m’a toujours hébergé et ne peu de temps, mon attitude bangladeshie s’est estompée. C’est insensé : elle ne peut survivre ici mais je sais, je suis persuadé qu’elle regagnerait l’empire de mes sens en quelques secondes, quand je retourne au Desh maintenant ou dans cinquante ans. Du Canada, on dirait que l’expérience bangladeshie (pour un Canadien) ne peut, ou presque, survivre ; c’est que le Bangladesh n’apparait que difficilement comme un prolongement de notre monde, de notre expérience sensible ; c’est un autre monde, une autre expérience.

Je peux concevoir que Dhaka existe toujours, par son urbanité, par son incroyable dynamisme, par son importance en Asie du Sud. Je peux concevoir que Dhaka fonctionne toujours lorsque je n’y suis pas. Au sujet de Munshiganh, cependant, je ne peux tout simplement pas y aller de la même affirmation.

Munshiganj n’existe plus.

Et pourtant, j’ai vécu trois jours intenses dans cet univers de saris volants et de Soleil plombant, bordé épar cette forêt sauvage où habitent tigres, crocodiles et cobras... Les classiques de années 50-60 du grand cinéaste bengali Satiajit Ray, qui dépeignent souvent l’existence villageoise, m’y paraissaient toujours d’actualité : le même type d’habitations, les mêmes instruments pour le travail, les mêmes coutumes...il est incroyablement beau de constater la survivance d’une telle culture,comme il peut être un tantinet choquant de ne pas sentir plus d’évolution, une soixantaine d’années après la production des films.

Je ne sais trop si j’ai déjà su être plus léger, avant ces trois jours à Munshiganj. Le travail pour mon ONG tardait à Dhaka, mais je n’aurais su m’en préoccuper. On avait un documentaire à faire, des tas d’entrevues et de plans à produire ; mais je ne pouvais me sentir trop nerveux.

Du Canada, Munshiganj n’existe plus. À Munshiganh, le reste du monde n’existe plus. Tout du moins, dans mon coeur et dans ma tête. En réalité, il va sans dire que tous les Bangladeshis qui vivent Munshiganj ont un cousin à Dhaka auquel ils parlent au moins un fois par jour ! Le Bangladesh est un pays en développement, mais ça n’empêche pas le système téléphonique d’être diablement efficace.

Et au sujet de ce moment clé ? De ce moment qui résume mon expérience, dont je parlais en début de texte. Il fallait bine que j’aille dans le sud du Bangladesh pour découvrir les joies de la motocyclette ! Vaquer en moto d’un village à l’autre, caméra en main, en quête de la bonne entrevue et du bon plan ? N’est-ce pas là ce que le cinéaste aventurier prendra la plus grand plaisir à vivre ? Nous nous trouvions sur une longue route étroite ; des deux côtés, à perte de vue, des rizières que le Soleil éclairait parfairement ; sur la route, d’autres motos, des chariots, des animaux, des gens curieux et souriants ; c’était parfait. Je fixai la caméra sur le trépied, que je pris fermement dans mes mains. Biblop Bhai démarra.

Comme je vais sans doute le dire (et le répéter) à quelques comparses en Filmmaking : `this twelve minutes - tracking - epic - travelling - motorcycle - shot in Southern Bangladesh was insane !`

Je dois bien le dire, et le redire !