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Violence contre les femmes et jeunes filles en Asie du Sud : les cas oubliés du Bangladesh

mardi 5 mars 2013

La violence contre les femmes et jeunes filles est considérée comme l’une des plus importantes violations des droits de l’Homme. Elle est aussi reconnue comme un problème de santé public concernant tous les secteurs de la société.

En Asie du Sud, la violence contre les femmes existe bien avant la naissance : des avortements sont réalisés à travers des sélections sexuelles. Toutes les 6 morts infantiles au Bangladesh, au Pakistan et en Inde sont dues à des discriminations sexuelles [1]. Dans ces régions, les femmes ont généralement ertaines restrictions au niveau des déplacements, de l’éducation, des soins de santé, de l’alimentation, d’opportunités d’emploi ; elles sont aussi souvent sous-représentées dans les professions au gouvernement et sont contraintes à se marier dès leur enfance. De plus, elles sont victimes de violences extrêmes telles que des agressions d’incestes, de viols, d’humiliations publiques, d’attaques d’acide, de trafics de femmes et de dettes liées aux dots. Dans cet article, il s’agira de comprendre les causes et conséquences de cette problématique devenue un phénomène commun au Bangladesh. Il sera question de connaitre les différentes formes de violences ainsi que les facteurs de la violence domestique, qui est l’une des formes les plus répandues dans le pays, ainsi que ses répercussions. Finalement, quelques exemples de violence faites contre les femmes et jeunes filles au Bangladesh seront analysés.

Les formes de violence
La violence contre les femme est définie selon les Nations Unies comme « any act of gender-based violence that results in, or is likely to result in, physical, sexual or mental harm or suffering to woman, including treats of such acts, coercion or arbitrary deprivation of liberty, whether occurring in public or in private like » [2]. Les types de violence répandus au Bangladesh sont la violence domestique, les attaques à l’acide, actes de brûlures, harcèlement sexuel, viols, kidnappings, trafics de femmes et la prostitution forcée. La violence domestique est caractérisée par des abus sexuels et émotionnels contre les femmes de la part des partenaires, maris ou membres de la famille. La violence domestique est le type de violence le plus commun au Bangladesh : environ 50% des femmes en sont victimes [3]. Sa définition est cependant plus large et inclut les abus des enfants, des parents et de la belle-famille commis par des agresseurs de sexe masculin à l’encontre des femmes et jeunes filles. Dans une étude concernant la violence faite contre les femmes économiquement désavantagées dans les milieux ruraux, Schuler rapporte que 47% des femmes sont battues par leurs maris tandis que 42% des femmes de différentes classes socioéconomiques sont victimes de violence par leurs belles-familles [4]. Dans une autre étude, Azim observe 61% de violences commises dans les zones urbaines [5]. Quant aux types d’abus physiques, ceux-ci se font souvent par les mains (85.4%), par des bâtons (63.5%) ou par des coups de pieds (51%) [6] ; il arrive aussi que les femmes enceintes subissent des violences physiques de la part de leurs maris (20%) et de leurs belles-familles (2.6%) [7].

Les violences sexuelles commises par les maris sont aussi courantes au Bangladesh : 37.4% dans les zones urbaines et 49.7% dans les zones rurales [8]. Dans ces dernières zones, les femmes ont rapporté davantage de violences sexuelles que physiques. Cependant, il n’existe pas seulement des abus sexuels et physiques, mais aussi des abus émotionnels qui se caractérisent par des intimidations et des humiliations dans lesquels les victimes se sentent mal. Dans une étude menée par Bhuiya, 66.8% des femmes sont victimes d’abus verbal par leurs maris et 23.7% par les membres de la famille [9]. Aussi, d’après de nombreuses études qualitatives, les victimes considèrent que les abus émotionnels sont plus dommageables que les violences physiques.

Les facteurs des violences domestiques
D’après l’étude de Bhuiya, l’âge des femmes et des maris ainsi que le fait d’appartenir aux associations de micro crédit sont des facteurs liés à la violence domestique. Effectivement, les femmes ayant des activités de micro crédit sont deux fois plus sujettes aux violences domestiques que leurs consœurs. De plus, les femmes ayant des maris de plus de 50 ans sont 6 fois plus sujettes à violence que les femmes ayant des maris de 30 ans et moins [10]. Cependant, une étude menée par BRAC estime que les membres du micro crédit sont moins victimes de violence domestique. Ainsi à peine 19% des femmes membres des activités de micro crédit sont victimes de ces violences en comparaison avec 40% qui sont non-membresxi. Toutefois, plusieurs études démontrent le contraire : une étude menée sur une population de 2038 femmes mariées âgées entre 15 et 55 ans a démontré un important taux de violence physique parmi les membres de BRAC contrairement aux non-membres [11]. De plus, il a été observé que le taux de violence diminuait avec la durée de leur adhésion avec les organisations de microcrédit.

De nombreuses études démontrent que l’une des causes les plus importantes à la violence domestique est l’antécédent de la mère du mari violentée par le père de celui-ci. La violence domestique du passé familial du mari l’encourage à renouveler le même comportement avec sa femme. La seconde cause en terme d’importance est le manque de communication entre le couple ainsi que le non-paiement ou le paiement partiel de la dot qui stimule la violence. L‘éducation du mari ainsi que l’âge de l’épouse sont aussi deux variables à considérer. Dans les régions urbaines, l’éducation au-dessus de la sixième année diminue le risque de violence domestique tandis que dans les régions rurales, celle-ci est amoindrie seulement lorsque le mari détient une éducation très élevée. De plus, dans les zones urbaines, la participation au micro-crédit créée des tensions et augmente les risques d’abus. Un autre facteur contribuant à la violence domestique est l’âge : l’épouse étant plus jeune que le mari a un impact négatif sur la violence pour les femmes urbaines, mais pas pour les femmes rurales. En fait, les mariages de jeunes filles tendent à augmenter le risque d’abus puisqu’elles sont alors considérées comme des enfants, un statu inférieur. Bref, peu importe les facteurs des violences domestiques, il a été observé que la plupart des victimes gardent le silence.

Les raisons d’acceptation de la violence
Selon l’étude de l’OMS, 53.3% des femmes dans les zones urbaines et 79.3% de celles des zones rurales sont d’accord avec le fait d’exercer de la violence domestique sous certaines circonstances [12]. Ces raisons seraient que les femmes ne complètent pas de façon adéquate leurs travaux d’intérieur, refusent d’avoir des rapports sexuels, désobéissent à leur maris ou encore l’infidélité. La proportion des femmes en accord avec ce propos est plus importante chez les femmes qui ont expérimenté la violence domestique que celles qui n’en ont pas fait l’expérience.

Une étude démontre que 66% des victimes de violence gardent le silence contre 75% des victimes des zones urbaines ayant eu une expérience modérée de la violence et 86% des zones rurales [13]. Certaines raisons majeures du silence sont l’honneur de la famille, la réputation de l’épouse qui serait ruinée, la sécurité des enfants, l’espérance du changement du comportement de l’époux ainsi que la honte d’avoir vécu une expérience de violence. Néanmoins, la raison principale du silence des victimes est l’acceptation de l’inégalité de la femme renforcée par les croyances sociales et religieuses en faveur de la domination de l’homme. La société encourage l’homme à exercer ses droits et son contrôle sur sa femme qui se restreint au silence en luttant seule, sans appui familial. Généralement, les abus psychologiques et physiques sont acceptés par l’épouse comme faisant partie des prérogatives du mari. La violence domestique devient alors une norme et une pratique sociale acceptée et non punie. Elle est enracinée dans l’idéologie patriarcale qui promeut l’infériorité de la femme à travers un processus de socialisation, de coutumes, de lois religieuses et de rituels. La promotion du pouvoir de l’homme et son honneur à l’intérieur de la société perpétue la violence envers les femmes. La société est caractérisée par des valeurs culturelles rationalisant la violence, un système légal aveugle aux droits de la femme, un système économique l’excluant et finalement un système politique qui marginalise ses besoins [14].

Quelques exemples de cas de violence contre les femmes et jeunes filles
Le 3 janvier 2012 à 15h30 a eu lieu une manifestation nationale à Dhaka en face du Parlement, à Shangshad Bhaban. De nombreux activistes et ONG du Bangladesh s’y sont donnés rendez-vous afin de dénoncer les atrocités commises à l’égard des femmes tels que le viol brutal d’une jeune fille de 14 ans le mois dernier. Cependant, l’événement est resté sous projecteur tant au Bangladesh qu’à l’international, contrairement à celui en Inde. Un viol collectif avait été découvert le 15 décembre 2012, contre une jeune femme de 23 ans à New Delhi, en Inde (voir l’encadré ci-dessous).

Une jeune étudiante dont l’identité est tue, a été agressée sexuellement durant 3 jours à Tangail et a été transportée d’urgence à l’hôpital « Dhaka Medical College (DMCH) » afin de bénéficier de traitements appropriés. De graves séquelles physiques, mais aussi psychologiques lui sont infligées aujourd’hui. Le ministre intérieur Alamgir promet une punition exemplaire aux agresseurs après qu’ils aient été arrêtés le 31 décembre 2012. Très peu de données sont disponibles concernant le cas du viol au Bangladesh. On remarque que depuis l’attention des médias portée sur l’événement en Inde, ceux du Bangladesh sont de plus en plus alertes aux mêmes faits qui se déroulent au pays. Effectivement, les quotidiens locaux relatent de plusieurs viols commis au Bangladesh depuis celui en Inde, comme le cas de la jeune fille de 14 ans.

Plusieurs ONG et journalistes dénoncent cette situation de violence faite aux femmes et aux jeunes filles, situation devenue de plus en plus courante à travers le pays. Les médias locaux se souviennent alors des faits de même nature apparus beaucoup plus tôt, mais restés discrets. Un autre viol était survenu le 21 août autour de 14h30 sur une enfant de 11 ans issue de la communauté autochtone. Alors qu’elle travaillait la terre à une centaine de mètres de sa grande soeur, un membre de la police du village l’a attrapé et violé derrière un arbuste adjacent à la station de police. Plus tard, l’enfant rentre chez elle et se confie à sa mère qui s’empresse de déposer plainte au poste de police. Un des collègues de l’agresseur lui propose 1000 tk (environ 12.50$) en échange de son silence, ce que la mère refuse immédiatement. Plusieurs associations autochtones sont alors mises au courant de l’incident et protestent devant le poste de police. La pression de la communauté autochtone a eu pour résultat l’enregistrement du cas de la jeune enfant sous la section « répression des femmes et enfants ». Plusieurs cas similaires sont petit à petit révélés dans les médias ces jours-ci.

D’après l’organisation ONE BILLION RISING, il est estimé qu’une femme sur trois dans le monde souffre de violence sous différentes facettes [15]. Sur une population de 7 milliards, il est alors calculé qu’un milliard de femmes et de jeunes filles seraient victimes de violence [16]. Une journée internationale contre la violence faite aux femmes est organisée par ce mouvement de protestation le 14 février 2013. Plus de 13 000 organisations autour de la planète y participent parmi lesquels des activistes et groupes de mobilisations de 182 pays ont signé afin de prendre part aux actions.

Vandana Shiva, une activiste et philosophe indienne commente les violences faites à la jeune indienne de 23 ans :

« The victim of the Delhi gang rape has triggered a social revolution. We must sustain it, deepen it, and expand it. We must demand and get speedy and effective justice for women. And while we do all this we need to change the ruling paradigm which is imposed on us in the name of ‘growth,’ and which is fuelling increasing crimes against women. Ending violence against women includes moving beyond the violent economy shaped by capitalist patriarchy to non-violent peaceful, economies which give respect to women and the Earth » [17].

Gloria Steinem, activiste et auteure féministe, discute de la signification du geste par les auteurs des viols :

« Proving ’masculine’ superiority ; often inserting guns and other objects into women’s bodies ; playing out hostility to other men by invading the bodies of ’their’ females, including old women and babies ; occupying wombs with sperm of a conquering group ; owning female bodies as the means of reproduction ; and raping men and boys to make them as inferior as females » [18].

La violence faite à l’égard des femmes et des jeunes filles est un phénomène universel. Depuis la conférence internationale sur les droits de l’Homme et la Déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes en 1993 à Viennes, les sociétés civiles et gouvernements ont reconnu cette problématique comme étant une préoccupation centrale des politiques publiques et des droits de l’Homme [19]. Par la suite, des mesures internationales telles que la Quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes en 1995 ainsi que celles de l’OMS en 1996 créent des programmes et stimulent les recherches concernant la violence faite à l’égard des femmes. D’après une étude de l’OMS sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes menée en 2005 basée sur 10 pays, dont le Bangladesh, quinze recommandations ont été émises. Des mesures d’urgence ont été exhortées exigeant la participation de milieux divers tels que des autorités sanitaires locales, des responsables communautaires, des gouvernements nationaux ainsi que des donateurs internationaux. Effectivement, tous les niveaux doivent être sollicités afin de rompre ces violences qui continuent de causer plus de 40 victimes chaque jour au Bangladesh et où un viol est signalé à toutes les 20 minutes en Inde [20].

Bibliographie
1. WHO. 2005. « Multi-country study on women’s health and domestic violence against women : Initial results on prevalence, health outcomes and women’s responses ». Geneva, Switzerland : World Health Organization.
2. Steinmen Gloria and Wolf Lauren, 2012. « Sexual violence against women is the result of the cult of masculinity ». En ligne.
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/feb/24/sexual-violence-women-cult-masculinity (Page consultée le 6 février 2012).
3. Tania Wahed and Abbas Bhuiya, 2007. « Battered bodies and shattered minds : Violence against women in Bangladesh ». Social and Behavioural Sciences Unit, International Centre for Diarrhoeal Disease Research (ICDDR, B), Dhaka, Bangladesh.
4. UN. 2012. « Thematic study of the issue of violence against women and girls and disability ». Report of the office of the United Nations High Commissioner for Human Rights.
5. Naved R, Azim S, Bhuiya A, Persson L. 2006. « Physical violence by husbands : Magnitude, disclosure and help seeking behavior of women in Bangladesh ». Soc Sci Med.
6. En ligne. http://onebillionrising.org/ (page consulté le 6 février 2012).


[1Bhuiya, p.342

[2UN, p.3

[3WHO, p.18

[4Bhuiya, p.342

[5Ibid., p.342

[6Ibid., p.342

[7Ibid., p.342

[8Ibid., p.342

[9Ibid., p.342

[10Ibid., p.344

[11Ibid., p.345

[12Ibid., p.345

[13Bhuiya, p.62

[14Ibid., p.346

[15OBR, En ligne.

[16Ibid.

[17Vandana Shiva, En ligne.

[18Gloria Steinem, En ligne.

[19OMS, p vii.

[20Ibid.