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Why are you actually here ?

samedi 1er décembre 2012

Sur la surface du terrain de basketball, une foule d’enfants s’est amassée autour de moi et, à travers les « Hey man ! » et les « Hey Joe ! » que l’on lance habituellement aux étrangers occidentaux, une petite fille m’interpelle dans un anglais impeccable et me demande ce que je venais faire chez elle.

Un peu surpris par son approche assez mature, très contrastée par rapport à celle des autres enfants que j’avais croisés dans les environs, je lui ai simplement répondu que j’étais ici pour voir comment était le camp dans lequel elle vivait et que je tournais un film-documentaire.

À ce moment, au milieu du mois de juillet, j’étais de passage sur un site de relocalisation de victimes du typhon Sendong, cette tempête tropicale qui a dévasté le nord de l’île de Mindanao, région australe des Philippines, et qui a forcé le déplacement de plus de 275 000 personnes et a causé la mort de plus de 1 200 individus [1] Ce camp, Xavier Ecoville, est un projet d’aide humanitaire et communautaire financé et organisé par l’institution universitaire d’Ateneo de Cagayan. Le site est localisé dans le barangay [2] de Lumbia, dans la région métropolitaine de la ville de Cagayan de Oro. Avec Iligan, la zone urbaine de CDO a été la plus durement touchée par la tempête et ce sont dans ces régions que l’on a observé la très grande majorité des personnes déplacées.

Il y avait beaucoup d’enfants cette matinée-là sur la place centrale de la communauté d’Ecoville, parce que les organisateurs employés par l’Université de Xavier avaient préparé des activités pour les plus jeunes, comme ils le font à tous les samedis. Pour cette journée, les enfants allaient jouer au jeu qu’on appelle le Larong Pinoy. Kay Kay, la fillette qui m’avait apostrophé plus tôt, me racontait qu’elle ne jouait pas à ce jeu parce qu’elle n’aimait pas trop les sports et a décidé qu’elle allait m’en expliquer les règles. Finalement, de ce que j’ai pu voir et comprendre, c’est exactement comme le ballon chasseur mais avec un nom différent.
La gestion du site d’Ecoville a ça de particulier : sa façon de tenter de créer un esprit communautaire en organisant de multiples activités. Il y a des regroupements sportifs, des organisations de jeux pour les enfants, des messes à chaque dimanche, des « values formation » tenues par un groupe chrétien, des séances de méditation pour aider les victimes qui ont des problèmes de traumatisme, de dépression ou de stress liés à leur expérience avec la catastrophe et même un « Ecoville’s got talent [3]. » ! Comparativement aux autres sites de relocalisation que l’on a pu voir ici dans la région de Cagayan de Oro, Ecoville offrait des perspectives de qualité de vie assez supérieures en termes d’une instauration d’un système communautaire favorisant la formation d’un tissu social. Le but de ce projet est vraiment de redonner une vie à ces gens plutôt que de leur donner un toit temporaire le temps qu’ils trouvent quelque chose d’autre. Là-bas, on voit ce projet comme une opportunité de repartir à neuf et de bâtir une communauté qui devrait être un exemple pour toutes les autres. Car en plus de consacrer beaucoup d’énergie à rapprocher les gens au sein de la communauté, les gestionnaires de Xavier Ecoville travaillent aussi à léguer aux familles des valeurs « vertes » en leur imposant des habitudes respectueuses de l’environnement : purification naturelle de l’eau de pluie, toilettes sans eaux écologiques, espaces alloués à chaque famille pour cultiver, pour faire du recyclage et du compost etc.

Un peu plus tard dans l’après-midi, des élections étaient tenues sur la place centrale et on m’a invité à annoncer les résultats devant la foule des électeurs impatients de découvrir le dénouement. Ainsi, pour chaque poste pour lesquels des candidats se présentaient, j’ai dû lire à voix haute le résultat de chacun des petits papiers soumis par les 150 électeurs participants à l’évènement. Et les votes pour chacun des postes se faisaient de manière successive et non tous en même temps. Je pense que ça a dû durer plus de trois heures…Les officiels de Xavier Ecoville m’expliquaient que ces premières élections avaient pour but d’entamer le processus d’autonomisation de la communauté qui sera coupée de la gestion de l’organisation universitaire une fois la construction des habitations permanentes terminée. Les différents postes touchent à plusieurs questions comme la santé, la redistribution des profits liés à la coopérative du camp, la gestion d’un fonds de protection sociale visant à aider les gens victimes d’une malchance, l’éducation etc. En observant le déroulement de la vie dans ce site de relocalisation, on a vraiment l’impression de voir en Ecoville une sorte de petit laboratoire social.

Après les élections, on est resté quelque temps à l’avant de la grande place commune avec les organisateurs des élections et les nouveaux élus. Les gens me remerciaient d’avoir participé au processus et les élus discutaient entre eux de leurs idées et de leurs positions. Quelques temps après, la petite fille accompagnée de ses deux frères et de ses deux parents qui avaient assisté à l’après-midi des élections est venu me rejoindre et voulait me présenter sa famille, qui semblait curieuse de savoir quelle était la raison de ma visite dans ce camp. Nous nous sommes présentés, nous avons discuté et ils m’ont invité chez eux à dîner.
C’est quand même formidable cette hospitalité philippine. Ici, l’étranger est davantage vu comme une richesse que comme une menace. J’ai été accueilli en roi dans leur petite résidence temporaire où, à leur table, on avait préparé des mets de toutes les couleurs.

Quant à cette famille et à leur histoire, elles s’apparentent très fortement aux autres que l’on a côtoyé et entendu dans les différents camps de relocalisation. Le cas typique d’une famille pas très riche, propriétaire de sa maison et qui a absolument tout perdu dans la tempête, tout. La famille habitait sur une petite île pas très large mais longue qu’on appelle Isla Puntod et qui est bordé sur ses deux côtés par une rivière qui se sépare en amont, au bout de l’île. Durant la tempête, la mère me racontait qu’elle avait ordonné à ses enfants de fermer les yeux et de ne les rouvrir qu’au moment où elle leur indiquerait. Ils ont été chanceux parce qu’ils ont réussi à quitter assez rapidement, avant que les choses n’empirent. Ça n’a pas été le cas pour tout le monde dans ce coin fortement touché par Sendong où plusieurs personnes sont mortes et où la plupart des maisons qui n’avaient pas de fondations solides ont été emportés par les eaux.

Ces gens-là n’étaient pas préparés à un tel aléa naturel tout simplement parce que ce genre de phénomène n’est jamais arrivé dans cette région traditionnellement épargnée par les typhons, qui sévissent en moyenne 20 fois par année dans les Philippines.

À la fin de notre souper, ils m’ont invité le lendemain pour aller visiter le site de leur ancienne maison. Difficile de refuser.

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Lorsque nous sommes arrivés à Isla Puntod et qu’ils me disaient que cet endroit leur a déjà servi de quartier, j’avais un peu de difficulté à y croire. Seulement six mois avaient passés et la nature avait déjà eu le temps de reprendre contrôle du site. C’était étonnamment déjà une véritable jungle. Un peu partout, on pouvait voir des petites traces de la tempête. Des bouts de bois, des couverts, des bols de toilettes ou des vêtements. Le site de leur ancienne maison, lui, ne présentait nulle part le moindre indice suggérant qu’il y ait pu avoir auparavant une famille qui y vivait.
C’était la première fois qu’ils y retournaient et l’émotion dominante qui régnait chez les membres de cette famille était la joie. Il n’y avait pas vraiment de tristesse ou de nostalgie même si cet endroit avait été leur maison pendant les 15 dernières années. Ils souriaient et étaient enchantés de pouvoir revoir cet endroit.

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On peut dire que, pour cette famille, la page a été tournée. Je pense qu’il est juste de dire que ce cas particulier fait état d’une réalité généralisée aux Philippines, celle d’un peuple armé d’une résilience forte dans sa gestion d’après-désastre. On pourrait penser que c’est parce qu’ils n’ont pas le choix vu le nombre important de ces situations observées à chaque année. C’est un peu ça, je crois.
Écoville donne à ces gens une chance de pouvoir reconstruire les fondations nécessaires pour pouvoir retrouver une belle qualité de vie. Cependant, ce projet qui ne représente qu’une réalité très marginale de tous les camps de relocalisation comporte aussi des problèmes commun aux autres camps, comme la dépendance à l’aide humanitaire à court ou moyen terme et la distance par rapport à la ville et à ses opportunités économiques.

À partir de là, on peut se poser une question. Ne serait-il pas mieux de trouver une solution pour éviter d’avoir à relocaliser tous ces gens à chaque fois qu’un désastre a lieu ? Et, c’est là qu’intervient le concept d’adaptation. Maintenant que ces régions sont au courant des risques d’habiter près de la rivière et de sa force destructrice, il est possible de mieux se préparer à ces évènements en tentant de solidifier les fondations des maisons, de s’éloigner des cours d’eau et des endroits aux pieds des zones surélevés, d’avoir un meilleur système de signalement d’urgence pour les populations etc.

Que ce soit au niveau individuel ou au niveau gouvernemental, il y a du travail à faire dans ce pays où ces aléas naturels arrivent à la pelle à chaque année. Une meilleure préparation à ces évènements empêcherait déjà tous ces décès et ces blessés, mais aussi ces gens qui sont déplacés et qui doivent composer avec des conditions pas évidentes même plusieurs mois après la relocalisation. Ces gens qui ressentent les effets d’après-tempête encore un voire deux ans après.


[1National Disaster Risk Reduction and Management Council. Final Report on the Effects and Emergency Management of Tropical Storm Sendong. Quezon City, NDRRMC, 2012, 35p.

[2Appellation typiquement philippine désignant un quartier et qui est la plus petite unité gouvernementale (après le niveau municipal).

[3Compétition entre plusieurs participants qui doivent impressionner des juges avec le type de performance de scène de leur choix. Basé sur le concept de l’émission américaine America’s Got Talent présenté sur le réseau NBC