Cinq semaines au Malawi
mercredi 7 novembre 2012Dimanche, le 28 octobre, 2012.
Ce soir, ça fera cinq semaines que je suis au Malawi. Présentement, il fait beau dehors, et les autres stagiaires qui habitent au Collège de médecine sont dans un beau resort, à Nkopola, sur la plage, au bord du lac Malawi. Mais mes rideaux sont tirés, et je développe une affinité inquiétante pour la couche sucrée des Advils que j’ai dénichés dans ma valise hier. J’ai été très malade depuis plus d’une semaine (grippe, sepsis, ou fièvre dengue ; mais pas la malaria – j’ai fait le test), et ça se termine (j’espère) avec d’atroces maux de tête, sans arrêt depuis hier après-midi. Il est 9h39 présentement, et je dirais que j’ai envie de sauter par la fenêtre, mais il n’y a qu’un seul étage.
Mon projet commence à prendre forme, je crois, mais jusqu’à date, je lis des documents, j’écoute ce que me disent les gens, surtout M. Mfune, je me présente à des rencontres, et je remplis des pages et des pages de notes. L’unique, mais très important problème, est que la majorité des rencontres sont en Chichewa. Ma recommandation, pour le programme ÉPD, est d’établir un « Intensive Chichewa Immersion Program for Foreign Interns » – ce serait un excellent investissement.
Je me concentre sur plusieurs aspects liés au Sida/VIH. Par exemple, l’éducation et la sensibilisation de populations vulnérables comme les étudiant/es dans les écoles secondaires, les sex workers, et les femmes. Éducation équivaut « empowerment », et avec une maladie présentement inguérissable, comme le VIH, je crois que l’éducation est donc le meilleur moyen de prévenir l’infection, et de réduire la discrimination contre les personnes affectées. Cette dernière conduit, par exemple, à : des maris qui se divorcent de leurs femmes (malgré qu’il y a de fortes chances que ce soit le mari qui a infecté sa femme – non seulement la promiscuité est-elle répandue parmi les hommes surtout [signe de masculinité], mais les Musulmans peuvent avoir jusqu’à quatre femmes officielles… Et il y a les maîtresses) ; une quantité importante de gens qui ne veulent pas se faire tester (mais selon les statistiques, le nombre des personnes qui vont passer le test augmente) ; une allocation de moins de ressources (« pourquoi on te donnerait des ressources, tu es une personne morte ») ; et au suicide.
Il est écrit dans les rapports officiels que le gouvernement a mis en place des politiques pour aider à empêcher la discrimination contre les gens qui ont le VIH dans les lieux de travail. Par exemple, un employeur n’a pas le droit d’exiger qu’un candidat potentiel fasse le test pour déterminer s’il est séropositif – sauf dans l’armée, puis si un employé découvre qu’il est séropositif, il a droit aux bénéfices accordés aux gens malades. Donc le gouvernement et le secteur privé cherchent à faire respecter ces politiques. Néanmoins, dans un pays où environ 90 pourcent de la population vit en zone rurale et donc largement d’agriculture, bien que nécessaires, il faut plus que ce type de politiques pour protéger les droits des personnes affectées.
J’ai assisté à deux grosses rencontres : une avec des élèves de niveau secondaire, venant d’écoles privées, puisqu’on soupçonne qu’il y a moins d’information sur le Sida/VIH qui parvient à ces élèves ; et l’autre était, pour moi, divisée en deux. En premier, j’ai assisté à une partie d’une « training session » sur le Sida/VIH pour les femmes Musulmanes, que l’ONG est allée trouver dans les mosquées, et par la suite, la même chose, mais avec des femmes Chrétiennes. Ça avait l’air d’être super intéressant ; j’aurais adoré comprendre ce qui a été dit. La « facilitator » que j’ai suivie a adressé les thèmes suivants : « gender », les droits et responsabilités, et la drogue et l’abus de substances illicites. Il y avait un autre « facilitator », qui a parlé d’autres sujets, et ils ont alterné entre les deux rencontres.
Les enfants ont eu droit à une journée sur les maladies transmises sexuellement, ainsi que le VIH (je n’étais pas présente cette journée-là), et les deux autres journées ont été consacrées à un cours de biologie sur le système reproductif de la femme (et j’ai appris c’est quoi une fistule) puis à des thèmes comme l’importance de l’éducation, et des décisions qu’on prend à ce jeune âge. Un immense problème à Mangochi, sont les mariages arrangés chez les jeunes filles, qui conduisent à des grossesses bien trop tôt (je parle de l’âge de treize ans, environ, mais il arrive de voir des filles de dix ans enceintes à l’hôpital aussi). Le mariage est légal, si j’ai bien compris, si les partis sont consentants (la fille est représentée par ses parents), mais la fille a droit au divorce, et les personnes dans sa communauté peuvent intervenir pour elle et dénoncer le mariage. Bien sûr, le mariage et la grossesse conduisent les filles à lâcher l’école – ce sont tous des facteurs qui contribuent à la propagation du Sida/VIH.
Les initiations – pratique culturelle parmi les Musulmans, mais les Chrétiens, étant une minorité à Mangochi, peuvent y participer aussi, comportent des facettes qui contribuent à la diffusion du Sida/VIH. Les enfants y participent très jeunes, et les filles et les garçons sont initiés séparément. La circoncision fait partie de l’initiation des garçons, et malgré qu’on tente de changer cela, souvent la même lame est utilisée pour tous les garçons, et elle n’est pas exactement stérilisée entre chaque opération. Et il arrive qu’une circoncision mal exécutée conduise à une hémorragie et à la mort, puisque l’hôpital peut être loin, et le transport non disponible. Il y a une pratique, aussi, qui se prononce « sasafungi » ou « sasafumbi », et elle implique que des hommes plus âgés couchent avec des jeunes initiées. Ceci prouve qu’elles sont devenues des femmes.
J’ai aussi assisté à une matinée avec des orphelins et autres enfants vulnérables (orphans and other vulnerable children – OVC). C’est grâce à l’invitation de la directrice d’une autre ONG, WAGA – Women Against AIDS, qui enseigne à des petits entre l’âge de deux et cinq ans, cinq matins par semaine. J’avais l’impression d’être entourée d’une mer de petits êtres qui m’arrivaient aux genoux, avec des grosses têtes et des gros yeux, tout pour être mignons comme ce n’est pas possible, mais ils étaient si pauvrement habillés, et je doute qu’ils soient tous bien nourris. Alors moi, qui n’a pas fait de babysitting, et qui ne sait simplement pas interagir avec cette espèce qui m’est inconnue (surtout quand ils me posent des questions en Chichewa), j’ai dû aider avec le cours. J’ai chanté (quelle horreur) twinkle twinkle little star, et row row row your boat, puis j’ai écrit les deux chansons sur le tableau (recto verso). J’ai aussi tenté de réconforter, en anglais, et avec toute l’affection et la chaleur qu’un jeune enfant peut susciter chez un être sensible, trois petites filles qui pleuraient. Tenez, c’est bizarre : quand j’en laissais une, elle se remettait à hurler, ou bien une autre s’y appliquait pour elle. Il va sans dire que ça m’a fait plaisir d’être là, et j’espère y retourner régulièrement.