Peut-on contrôler la circulation des armes à feu aux Philippines ?
lundi 7 avril 2014Cela faisait bien deux heures que nous attendions dans la chaleur étouffante d’une camionnette quelque part dans ville de Lemery pour nous rendre à Taygaytay quand un femme dans la soixantaine assise à nos côtés sortit un petit catalogue de son sac pour essayer de nous vendre une arme de pointe. Affichant un sourire fier et vendeur, elle nous présentait les avantages et les inconvénients de ses produits : armes légères, shotgun, sniper, tout y était. Elle se disait toujours prête vendre ses armes à n’importe qui croisait son chemin : paysans ou hommes d’affaires, hommes ou femmes, dans la fleur de l’âge ou âgés.
Peu importe, tous les Philippins cherchent à se procurer un moyen pour se protéger des criminels ou d’un éventuel éclatement de violences politiques. Puisque les histoires d’horreur circulent de façon endémique sur le territoire et que le climat d’insécurité est constant chez la population philippine, posséder une arme à feu apparaît comme la meilleure solution pour garder l’esprit tranquille, même si en quelque sorte cette stratégie intellectuelle contribue à exacerber le climat de tension.
On estime que les citoyens philippins ont en leur possession plus de 3 900 000 armes à feu, ce qui le classe au vingtième rang des pays où les civils possèdent le plus de fusils. À cela s’ajoutent les 449 350 armes à feu de l’arsenal de l’armée philippine et les 139 043 armes que possèdent les forces policières. Les chiffres sont astronomiques : 4 488 393 d’armes à feu circulent légalement aux Philippines. Ces armes sont majoritairement détenues par des civils, qui appartiennent parfois à des organisations politiques rebelles ou à des organisations criminelles. Au cours de l’histoire, les rébellions et les massacres ont favorisé un climat d’insécurité et ont accru les flux d’armes à feu dans le pays, ce qui a pu alimenter cette forte culture de possession d’armes.
Aux débuts de l’année 2013, plusieurs évènements allaient amener la société philippine à remettre en question la place des armes à feu dans le pays. Rappelons qu’à cette époque, le deuxième amendement de la constitution américaine devient de plus en plus contesté aux États-Unis, à la suite de la tuerie de Newton. Le débat est très médiatisé et trouva écho au-delà des frontières américaines. Aux Philippines, le massacre qui a coûté la vie à 8 personnes dans la ville de Kawit avait eu un impact médiatique comparable à la tuerie de Newton. Plusieurs se sont mis à critiquer le lien étroit qu’entretenait le président Aquino avec les lobbys des armes à feu en utilisant comme principal argument le fait que celui-ci possédait 22 fusils différents. Cette question est rapidement devenue un enjeu central des élections de mi- mandat. C’est la raison pour laquelle, le 29 mai dernier, le parti Libéral a promulgué la loi 10591. Cette loi réaffirme le droit de posséder une arme pour se défendre, tout en imposant des normes plus strictes pour d’obtention des permis de possession d’armes.
Dorénavant, pour obtenir un permis de port d’arme à feu, il faut satisfaire aux conditions suivantes : un dossier judiciaire vierge, avoir été évalué par une psychiatre reconnu, avoir passé un test de dépistage antidrogue, avoir fait les cours et les séminaires des stands de tir et avoir enregistré son arme. Les normes relatives au permis de port d’arme ont donc été récemment resserrées d’un point de vue légal, mais pour que les nouvelles mesures soient efficientes et marquent un réel changement dans la société, il faut également trouver des moyens de les mettre en oeuvre de manière efficace. Quand j’ai demandé à la femme qui tentait par tous les moyens de me vendre une arme si j’avais besoin d’un permis et combien de temps prendrait le processus, elle a répondu que les normes étaient très strictes, mais qu’il y avait toujours moyen de s’arranger. C’est contre ces « arrangements » faits au noir que l’État philippin doit également se battre. Si les lois mises en place sur le territoire peuvent parfois s’avérer inutiles afin d’exercer un réel changement, c’est souvent parce que les ressources déployées pour les faire respecter sont insuffisantes. D’abord, parce qu’il demeure toujours possible pour un commerçant de contourner les lois et de s’en sortir sans que les autorités ne s’en aperçoivent. Ensuite, parce que la plupart des armes en circulation sur le territoire sont des armes de contrebande qui échappent totalement au contrôle de l’État. Les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement afin d’appliquer la loi donnent le droit à la police de faire des inspections à des heures raisonnables et d’emprisonner les contrebandiers pour une période 6 à 12 ans. Ces nouvelles mesure ne répondent à une infime partie du problème. Un nombre déjà important de fusils circule présentement sur le territoire. Des compagnies dépendent déjà de ce commerce, et les plusieurs groupes armées en place aux philippines ne laisseront sans doute pas tomber leur lutte pour une lois signée par le gouvernement. Tous ces facteurs mettent à mal la capacité de l’État d’exercer un réel contrôle dans ce dossier.
La vieille dame nous a laissé sa carte d’affaire tandis que nous quittions le van avec la ferme intention de ne jamais la revoir. J’ai tourné la tête et je me suis demandé combien de personnes autour de moi possédait une arme à feu. Je me sentais moins en sécurité.