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Au sujet de la pollution

vendredi 14 février 2014

« ... j’ai travaillé à Farmgate, chère ! Tu peux te taire ! », pourrais-je m’exclamer, hilare et fier, à l’écoute d’une quelconque bougresse qui s’amuserait à me taquiner au sujet de mes habitudes sanitaires occidentales excessives. La taquinerie faisait place à l’orgueil, cette grosse ecchymose jouerait alors l’hypocrite, feignant connaître Farmate (car soyons honnête : qui connait l’arrondissement de Farmgate à part les quelques 150 millions de Bangladeshi qui le détestent, les stagiaires d’Unnayan Onneshan et quelques environnementalistes en colère ?).

Cette immense bougresse, que les sentiments amers ne délaissent, découvrirait alors combien avec allégresse je lui dresserais un portrait de Farmgate avec une étonnante finesse. S’il est un endroit de Dhaka que tous préfèrent éviter, c’est bien cette intersection à la circulation routière terrible, où les milliers de gens déboulent en rechignant, constatant combien Farmgate n’a et n’aura jamais rien d’attrayant. Les trottoirs sont toujours bondés, on ne peut progresser avec aisance ; la cacophonie générale est l’opéra d’un ignoble tortionnaire qui ne vise qu’à la nuisance ; mais le pire, c’est qu’on y respire en permanence ce que notre pauvre système peine à subir. Farmage est possiblement la zone la plus polluée au monde.

Au sujet du niveau de pollution dans la ville de Dhaka, on peut dire bien des choses. Avant que le nez ne pique et que les entrailles ne brûlent, ce sont les oreilles qui souffrent le plus : selon une étude effectuée en 2001, qui a été menée dans dix-neuf arrondissements différents de la ville, si vous vous trouvez en bordure d’une route de Dhaka, vous êtes constamment exposés à la pollution sonore. Celle-ci n’est pas à sous-estimer : une exposition à un niveau sonore trop élevé pour une longue période peut cause de sérieux stress aux systèmes auditif et nerveux, qui peuvent amener à faire, notamment, de l’hypertension, des maux de tête ou des ulcères peptiques [1]. Le département de l’environnement du gouvernement du Bangladesh a établi à soixante décibels le niveau sonore acceptable [2]. En regardant les résultats de l’étude, on constante qu’il faut se trouver à soixante mètres des routes pour que le niveau sonore oscille entre cinquante-huit et soixante décibels ! Il faudrait donc être constamment à soixante mètres du réseau routier de Dhaka pour ne pas être affecté par le niveau sonore. Inutile de vous dire que les hôpitaux et les écoles primaires - lieux qui, pour des raisons évidentes, devraient être à l’abri de la pollution sonore - ne se trouvent pas à soixante mètres des routes ! Heureusement que dans certains quartiers de la ville, comme par exemple à Dhanmondi, quartier branché mais tout de même loin de l’influence occidentale (le Gulshan cool, quoi !), on retrouve plusieurs arbres, qui sont assurément bénéfiques pour contrôler le niveau sonore [3].

Si les oreilles souffrent, il va sans dire que c’est surtout l’agressivité que l’on retient : quoi de plus barbant que ces gens qui klaxonnent sans arrêt, sans grande raison, que pour harponner de peur ces quelques piétons rêveurs dont je fais partie ?! Je crois qu’il s’agit du seul élément que je trouve parfois intolérable à Dhaka : les klaxons.

Après quelques semaines, cependant, on s’est suffisamment habitué aux sons et notre système nous révèle alors le plus grand problème : la pollution de l’air. Pour quelques semaines, j’ai eu une toux et des douleurs thoraciques inhabituelles, ainque des maux de tête parfois suffisants pour empêcher toute concentration. La qualité de l’air à Dhaka est terrible ! On sait bien que les moyens de transport causent en très grande partie cette mauvaise qualité de l’air, mais il y a d’autres facteurs : l’industries de la brique [4]. ou les changements de saison, par exemple.

Il est cependant faux de croire qu’il n’existe aucune solution pour contrecarrer cette grave problématique ! L’horreur véhicule qu’est le CNG (Compressed Natural Gaz) pour ses usagers est, en réalité, une véhicule écologique : son introduction dans les rues de Dhaka a réduit considérablement les concentrations de NOx et de CO, qui diminuent entre autres l’efficacité du sang à transporter l’oxygène. La concentration de SO2 dans l’air de Dhaka, qui provient du diesel, a également diminué de manière dramatique entre 2000 et 2010 [5]. Il est dommage, cependant, que plusieurs usines à charbon indiennes fassent augmenter la concentration de SO2 dans l’air du Bangladesh [6].

Considérant que les embouteillages demeurent la première cause de la pauvre qualité de l’air au-dessus des routes de Dhaka [7], il va sans dire que l’initiative des CNGs est bénéfique et qu’elle doit s’inspirer d’autres solutions. Cependant, plutôt que d’essayer de diminuer les impacts du trafic avec des véhicules écologiques, il faudrait sûrement chercher à réduire la congestion : la construction d’autoroutes surélevées, par exemple, pourrait être une solution [8].

Vos comprendrez donc la situation : une grosse bougresse qui me critique pour mes supposées manies hygiéniques nord-américaines, alors que j’ai travaillé quatre mois à Farmgate... je peux bien l’envoyer paître, pas vrai ?!


[1Ahmed, M.F., MD Jobair Bin Alam et AFMA Fauf. 2001. "Trafic induced noise pollution in Dhaka city" Journal of Civil Engineering. The institution of Engineers, Bangladesh 29(1) : p. 55.

[2Idem, p. 59.

[3Idem, p. 63

[4Begum, D.A. et KM. Ahmmed. 2010. "PA02 Air Pollution Aspects of Dhaka City" Proc. Of international Conference on Environmental Aspects of Bangladesh. Septembre 2010, Japon, p. 7705.

[5Begum. Bilkis A., Swapan K. Biswas et Philip K. Hopke. 2011. "Key issues in controlling air pollutants in Dhaka, Bangladesh" Atmospheric Environment. Vol 45, p. 129-130

[6Begum, D.A. et KM. Ahmmed. 2010. "PA02 Air Pollution Aspects of Dhaka City" Proc. Of international Conference on Environmental Aspects of Bangladesh. Septembre 2010, Japon, p. 7713

[7Faiz, A., Weaver et M.P. Walsh. 1996. "Air Pollution from Motor Vehicles, Standards and Technologies for Controlling Emissions". Working Paper, World Bank, USA

[8Begum, D.A. et KM. Ahmmed. 2010. "PA02 Air Pollution Aspects of Dhaka City" Proc. Of international Conference on Environmental Aspects of Bangladesh. Septembre 2010, Japon, p. 131