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Show-me da Manny

Entre le ring et l’arène politique : comment Manny Pacquiao a réussi à conquérir les Philippines

mercredi 2 avril 2014

Entre politique et spectacle, la ligne est très fine aux Philippines. Manny Pacquiao, plusieurs fois champion du monde de boxe, a affronté l’Américain Brandon Ríos à Macao en novembre 2013. À 34 ans, celui qu’on surnomme PacMan semble confronté à un avenir de plus en plus incertain. À la suite de son dernier combat – qui s’est soldé par une défaite par K.O. – son entraineur a annoncé qu’un troisième revers consécutif mettrait un terme à sa carrière dans le ring. Dans l’arène politique toutefois, l’ascension du boxeur ne fait que commencer. L’idole nationale occupe un siège au Congrès depuis 2010. Récemment, Pacquiao a dévoilé ses ambitions post-ring : Président de la République des Philippines, rien de moins [1].

En 2007, alors qu’il était au sommet de sa carrière de boxeur professionnel, Manny Pacquiao tente le grand saut lors des législatives. Il fait campagne sous la bannière libérale dans South Cotabato, sa province natale. Battu, il change de stratégie en vue des élections de 2010 et se présente au Congrès dans le district de Sarangani, province d’origine de sa femme Jinkee. Initialement à la tête de son propre parti, il se ralliera au Nacionalista Party pour marquer une écrasante victoire. Au cours des trois premières années de son mandat, son allégeance partisane est fluctuante. Pacquiao quitte la coalition au pouvoir, dirigée par le président Benigno Aquino III pour joindre celle de son adversaire, le Vice-président Jejomar Binay. Ces revirements partisans n’ont toutefois rien d’étonnant dans le paysage politique philippin, où le débat est dénué de toute idéologie de type gauche-droite. Ici, seul le nom, l’image et la personnalité des candidats importent.

Avant d’être élu, Manny avait déjà démontré qu’il n’avait guère besoin d’une paire de gants pour prendre part au spectacle. Véritable personnalité publique, il participe à plusieurs films, albums, séries télévisées et émissions de téléréalité [2]. La signature d’un contrat d’exclusivité avec l’empire GMA Network en 2007 l’élève au statut de kapuso, titre donné aux protégés du géant médiatique. L’entente donne lieu à la création du sitcom humoristique « Show Me da Manny », lancé en 2009. On peut y découvrir un Pacquiao très tendre, dans le rôle de propriétaire d’un gymnase de boxe confronté à une série de déboires amoureux [3]. Malgré la piètre performance de l’acteur principal, la série obtient une cote d’écoute phénoménale [4]. Le passage de Manny Pacquiao au petit écran le propulse dans le salon même de millions de télé-électeurs, un atout majeur pour quiconque espère gravir les marches du pouvoir aux Philippines.

Détrompez-vous, l’histoire de Manny ne fait pas exception. La scène politique philippine déborde d’acteurs, de chanteurs et de joueurs de basketball, le sport fétiche dans l’archipel. Lors des législatives du 13 mai 2013, pas moins de quatre-vingt-quatre célébrités ont présenté leur candidature. Cinquante et un ont gagné leur pari [5]. D’ailleurs, Pacquiao ne serait pas la première célébrité à accéder à la présidence de la République, s’il parvenait à réaliser ses ambitions. En 1998, un ancien acteur de films d’action remportait la présidence. Joseph « Erap » Estrada a occupé le poste pendant 3 ans avant d’être renversé par un soulèvement populaire, doublé d’une procédure d’impeachment au Parlement.

Pourquoi les célébrités philippines connaissent-elles autant de succès en politique ? Peu d’analyses approfondies explorent la question. Quelques pistes existent néanmoins. Depuis la fin de l’ère Marcos, plusieurs tendances ont transformé les pratiques électorales et partisanes. La croissance de l’électorat, davantage urbanisé, a été accompagnée par l’essor des médias de masse [6]. Sur le plan institutionnel, la faiblesse du système de parti renforce la personnification du politique. L’absence de distinction idéologique entre les différentes formations politiques, bâties autour d’un clan ou d’une famille, amène l’électeur à ne considérer que l’image du politicien, un phénomène propice aux candidatures populaires(istes) et médiatisées.

Certains analystes soulignent également le déficit de légitimité dont souffre la classe politique aux Philippines, qui est perçue comme une élite distante peu digne de confiance [7]. Chanteurs, acteurs, lecteurs de nouvelle et athlètes répondent avec plus d’aisance à cette problématique, étant élevés au rang d’icône par les médias de masse. Par exemple, le Times Magazine Asia de novembre 2009, compare l’ascension de Manny Pacquiao au mythe d’origine d’un héros grec [8]. À l’âge de quatorze ans, ce dernier quittait le domicile familial pour s’établir à Manille afin d’aider financièrement sa mère, qui peinait à élever seule ses six enfants. Contrairement à l’élite politique traditionnelle, Manny est issu de la classe populaire, ce qui contribue à son aura de self-made man.

Connaîtra-t-on l’avènement de la dynastie Pacquiao ? Au coût de deux millions de pesos, il a financé, en 2010, les campagnes de son frère Rogelio et de sa femme Jinkee. Celle-ci a d’ailleurs été nommée vice-gouverneur de la province de Sarangani [9]. La somme est dérisoire pour celui qui figure parmi les deux athlètes les mieux rémunérés de la planète en 2013. Les deux combats disputés cette année lui ont permis de gagner la somme trente-deux millions de dollars [10]. D’ailleurs, dès 2009, le Times magazine plaçait le boxeur dans son palmarès des cent personnalités les plus influentes de la planète [11]. L’année suivante, le couple Pacquiao est invité à la Maison blanche pour rencontrer Barack Obama. Les avant-goûts d’une réception présidentielle. Chose certaine, Manny se forge un curriculum politique fort enviable.

Ce n’est pas avant 2022 que Manny Pacquiao pourrait réaliser ses ambitions, les prétendants à la présidence devant être âgés d’au moins 40 ans. En attendant, ses détracteurs ne manquent pas de rappeler son déplorable taux d’absentéisme au Congrès – il était absent lors de 30% des séances en 2012 – afin de le discréditer [12]. Idolâtré par la presse et la télévision, l’ancien boxeur bénéficie néanmoins de huit longues années pour peaufiner son image de politicien.