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L’Église aux Philippines

mardi 22 janvier 2013

Lors d’une promenade dans les rues de Manille, il est très difficile de ne pas passer devant des églises.

En effet, les Philippines se distinguent au sein de l’Asie toute entière en étant le seul pays à être chrétien. À part quelques peuples indigènes et l’île de Mindanao où se trouve une minorité musulmane, la très grande majorité de la population est de confession chrétienne. L’historique religieux des Philippines est intrinsèquement lié au passé colonisé du pays, le catholicisme ayant été amené par les Espagnols durant le XVIème siècle lorsqu’ils sont arrivés aux Philippines [1] . Si le catholicisme prévalait durant la période coloniale espagnole, l’arrivée des Etats-Unis durant le XXème siècle a apporté son lot de missionnaires protestants, ce qui explique la grande diversité des courants chrétiens aux Philippines. Au-delà de ce trait culturel et malgré la diversité des courants chrétiens, il faut également souligner le rôle politique important que joue l’Église catholique aux Philippines et ce, depuis bien longtemps.

En 1986, la révolution qui poussa Marcos à l’exil aux États-Unis a été largement rendue possible grâce au soutien de l’Église. Depuis lors, bien que l’influence de l’Église semble diminuer avec le temps, celle-ci reste très présente dans les traditions et dans le quotidien des Philippins, sans compter qu’elle se positionne également souvent en tant que juge moral de la politique gouvernementale. Actuellement au Congrès Philippin le ‘’Reproductive Health Bill’’ concernant la contraception et le droit à l’avortement est discuté. L’année dernière, quatre étudiants (deux Canadiens et deux Philippins) ayant inauguré le programme « Étudiants pour le Développement » aux Philippines ont tourné un documentaire sur la mortalité maternelle aux Philippines [2]. Celui-ci illustrait le problème grave de la mortalité infantile et l’important enjeu lié à la légalisation de l’avortement afin de régler ce problème de santé publique. Une autre facette de cette problématique est liée à la croissance de la population. Dans un pays qui connaît un taux de natalité extrêmement élevé avec une population déjà très importante, le contrôle des naissances est un enjeu de plus en plus discuté : « Population growth in and of itself is not a problem, if resources are available to cope with the additional people requiring public services, employment, housing, and so on . . . But in a country where the budget is already stretched and where poverty is high to begin with, population growth becomes a major issue. » [3]. Or, la position officielle de l’Église catholique philippine se base sur la position adoptée par le Vatican, c’est à dire contre l’avortement artificiel. La plupart des présidents et présidentes qui se sont succédés, bien que n’étant pas tous catholiques, sont tous restés dans l’ambiguïté sur ce sujet. Cela explique l’absence d’une réelle politique en la matière [4]. Alors que ce pays est en plein développement économique depuis quelques années dans cette région extrêmement dynamique d’Asie du Sud-Est, on peut se demander si les autorités n’auraient pas intérêt à régler cette question.

Lors de notre rencontre avec une organisation féministe, Likhaan, en pleine campagne de sensibilisation pour que le ‘’Reproductive Health Bill’’ soit voté, nous avons pu prendre la mesure et l’ampleur du phénomène. Il existe un besoin urgent de sensibilisation et de conscientisation de l’opinion publique relativement aux enjeux soulevés par le "Reproductive Health Bill". Le tabou entourant les contraceptifs soulève aussi le problème du VIH. Bien que les statistiques officielles sur la question puissent laisser penser qu’il soit très peu répandu au sein de la population philippine, la maladie pourrait connaître une croissance exponentielle si des mesures efficaces ne sont pas prises. Alors que la plupart des États chrétiens dans le monde occidental sont aujourd’hui laïcs, il est intéressant d’observer que l’un des pays chrétiens les plus peuplés du monde est encore fortement influencé par l’Église.

Au delà des polémiques suscitées par le ‘’ Reproductive Health Bill’’, l’Église se distingue positivement dans d’autres dossiers. C’est une institution qui joue un grand rôle dans l’éducation et les secours en cas de désastres naturels. Comme nous avons pu le voir lors de notre séjour à Cagayan de Oro, l’aide aux victimes provenant de l’Église a été très importante autant sur le point de vue matériel que psychologique. Néanmoins, il est important qu’un pas soit effectué afin que les Philippines puissent trouver des solutions à des de problèmes de santé publique aussi graves que la mortalité à la naissance, la transmission du VIH et la surpopulation.

Note de l’auteur :
Cet article a été écrit durant le mois d’août alors que le règlement du ‘’Reproductive Health Bill’’ en était encore au stade de discussions. Le président des Philippines, Benigno S. Aquino III a approuvé la loi le 21 décembre 2012, non sans de nombreuses discussions. Se tiennent actuellement de nombreux débats dans le pays en raison du caractère sensible de cette nouvelle loi. Notamment, le président a été largement critiqué par l’Église tout en étant salué par grand nombre de femmes et d’associations féministes, entre autres, pour avoir approuvé la loi. L’avortement n’a pas été légalisé par cette nouvelle loi, principalement centrée sur la contraception et le contrôle des naissances.

http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2012/12/18/aux-philippines-enfin-la-pilule-pour-tous
http://newsinfo.inquirer.net/tag/rh-bill


[1Russell, Susan. S.d. « Christiannity in the Philippines ». http://www.seasite.niu.edu/crossroads/russell/christianity.htm (page consultée le 28 aout 2012).

[2Pour visionner le documentaire http://www.youtube.com/watch?v=UNIs_1HU_kA

[3Demeterio, F.P.A III. 2007. « The Philippine Church, State, and People on the Problem of Population ». Kritike no2(97-112), 103

[4Demeterio, F.P.A III. 2007. « The Philippine Church, State, and People on the Problem of Population ». Kritike no2(97-112).