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L’émigration des travailleurs philippins

mardi 1er avril 2014

Difficile de croire le président Benigno Aquino III lorsqu’il parle de « migration inversée » au pays, laissant entendre que les possibilités d’emplois sont meilleures qu’avant. En réalité, les taux de sous-emploi et de chômage ont augmenté considérablement au cours des trois dernières années de son mandat. L’exode de la main d’oeuvre est un phénomène bien connu des philippins. Rares sont les personnes ou les familles qui n’en sont pas touchées, de près ou de loin. Ben D. Kritz, journaliste au Manila Times, explique que « That unemployment is a bit of a problem for the Philippines is a generally accepted assertion, if “generally” is used in the normal way here, meaning “mostly’’ everyone except officials of the current administration. » [1] Les Philippines est un des pays qui envoie le plus de main d’œuvre à l’étranger. Près de 1,5 millions de personnes quittent l’archipel chaque année dans l’espoir de trouver du travail à l’étranger [2]. En tout, ils seraient plus de 22 millions de Philippins à avoir fait le pari de partir à l’étranger pour fuir le chômage [3].

Mettant de l’avant un soi-disant momentum pour les travailleurs philippins, Rosalinda Baldoz, Secrétaire responsable de l’emploi, soutient qu’il y a en ce moment une opportunité à prendre avec la mise en place d’une industrie naissante du divertissement et du tourisme au pays, permettant aux citoyens de trouver des emplois [4]. Or, s’il est vrai que certains emplois ont été créés au sein de cette nouvelle industrie, les salaires peinent à concurrencer ceux offerts pour des emplois comparables à l’étranger et les contrats se limitent généralement à des périodes de 5 mois, après quoi le retour à une situation précaire est inévitable [5].

Migrante International (MI), une alliance regroupant des organisations pour les migrants philippins, vise à défendre les droits de ces derniers. Cette organisation s’évertue à démontrer que l’exportation de main d’œuvre ne peut être considérée comme un outil de développement soutenable [6]. Migrante International participait par ailleurs, les 3 et 4 octobre dernier, à l’International Assembly of Migrants and Refugees. MI souhaite faire reconnaître que la situation précaire des travailleurs philippins est héritée du néo-colonialisme américain et dénoncer l’inaction du gouvernement actuel. En effet, le problème c’est que l’économie du pays demeure sous-développée : sans industries et principalement agraire. L’instabilité politique et le manque d’infrastructures découragent les investisseurs étrangers. Cela explique en partie pourquoi les envois de fonds par la diaspora représentent une importante source de revenue, et pour les familles, et pour le gouvernement, qui tire très grand profit de cette situation. Derrière l’Inde, la Chine et le Mexique, les Philippines est le pays qui reçoit le plus d’envois de fonds [7].

Effectivement, tous les citoyens qui souhaitent quitter pour travailler à l’étranger n’ont d’autres choix que de payer le prix fort au gouvernement, qui leur impose d’innombrables frais et d’interminables aléas administratifs. Que ce soit relativement aux frais médicaux, aux permis de travail, ou à tout autre document requis à l’immigration, les autorités s’en remplissent les poches. Chaque travailleur doit payer au moins 26 000 pesos (environ 620$) en frais [8]. Si au moins tous ces fonds étaient redistribués équitablement dans l’économie, dans les services publics, investis dans la création d’emplois, ou à d’autres fins favorisant la croissance du pays ou la création d’un filet social, il serait moins facile d’en être aussi outré. Là ne sont visiblement pas les destinations de ces fonds, qui sont récoltés depuis plus d’une quarantaine d’années, sans que la situation du pays ne se soit améliorée considérablement.

Pis encore, l’arnaque ne s’arrête pas là. Une fois rendus à destination, les migrants se voient souvent confrontés à une série de mauvaises surprises. Parfois, les salaires ne sont pas aussi élevés que ce qui était stipulé dans le contrat et certains sont victimes d’abus de tout genre (psychologique, sexuel, physique, etc.). Bien entendu, lorsque les individus décident de partir à l’étranger, ils sont conscients de ces risques, mais beaucoup d’entre eux préfèrent ne pas laisser cette opportunité filer entre leurs doigts car il s’agit de la seule option envisageable pour améliorer le sort de leur famille. Elliou, un ami rencontré à Baguio, m’expliquait que ce n’est pas tout le monde qui a la chance d’aller travailler à l’étranger, lui-même étant en train de compléter le processus afin de travailler à l’étranger. Au téléphone dernièrement, il m’apprenait qu’il est en voie d’obtenir le statut de OFW (Overseas Filipino Worker), et qu’il espère trouver un emploi en Nouvelle-Zélande. Cela fait quelques mois, déjà, qu’il a entamé le processus bureaucratique. Bien qu’il ne sache trop ce qui l’attend là-bas, il continue de me dire que c’est une question de chance, et qu’il remet son sort entre les mains de Dieu. S’il peut aider sa famille, c’est tout ce qui lui importe.

Ainsi, pas plus agréable que sécuritaire, l’immigration vers des pays développés dans l’espoir d’obtenir un gagne-pain raisonnable demeure une porte de sortie pour ces individus qui ne voient de solution dans leur propre pays. Bien qu’il s’agisse d’une solution à court terme, les problèmes demeurent. Ce n’est pas avec une pareille stratégie, en exportant de la main d’œuvre à bas prix vers les pays développés, que les conditions de vie et de travail s’amélioreront aux Philippines. D’ailleurs, la société civile philippine se mobilise de plus en plus afin de décrier les abus dont sont victimes les OFW. Le 19 septembre dernier a eu lieu, à cet effet, le Zero Remittance Day, une journée symbolique où on a demandé à tous les travailleurs à l’étranger de ne pas envoyer de fonds dans leur pays. Cela avait pour but de protester contre la mise en place de l’Overseas Workers Welfare Administration Omnibus Policy, qui demande que chaque migrant remette 25 $ au gouvernement par contrat octroyé [9]. Espérons que la mobilisation populaire saura faire cesser la corruption et les frais administratifs obscurs.

Bonne chance Elliou.


[1Ben D. Kritz, « Perspectives on Unemployment », (2013) En ligne. http://manilatimes.net/perspectives-on-unemployment/30380/ (page consultée le 13 octobre 2013).

[2Idem.

[3Idem.

[4Janess Ann J. Ellao, « K+12, high unemployment rate contradict gov’t claims of ‘reverse migration’ – OFW group ». (2013) En ligne
http://bulatlat.com/main/2013/06/14/k12-high-unemployment-rate-contradict-govt-claims-of-reverse-migration-ofw-group/ (page consultée le 12 octobre 2013).

[5Idem.

[6MIGRANTE International. « International Alliance of Filipino Migrant Organizations », (2013) En ligne. http://migrante.tripod.com/ (page consultée le 10 octobre 2013).

[7Janess Ann J. Ellao, « Filipino migrants’ rights advocates join high level talks on migration », (2013) En ligne
http://bulatlat.com/main/2013/10/07/filipino-migrants-rights-advocates-join-high-level-talks-on-migration/ (page consultée le 12
octobre 2013).

[8Idem.

[9Janess Ann J. Ellao, « Migrants’ group amplifies Zero Remittance Day with march to Mendiola (2013), En ligne http://bulatlat.com/main/2013/09/22/migrants-group-amplifies-zero-remittance-day-with-march-to-mendiola/ (page consultée le 10 octobre 2013).