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La RH Bill aux Philippines, la victoire d’une population sur son élite

vendredi 25 janvier 2013

25 janvier 2012 – 16h20 heure locale, je posais le pied sur le sol philippin, je découvrais la gentillesse des locaux à peine arrivée au tapis roulant amenant (lentement) ma valise, le non-sens de l’orientation des chauffeurs de taxi et un peu de ma maison-mégalopole pour les cinq prochains mois, Manille.

Manille et ses autoroutes, sa pollution, son trafic, ses jeepneys, ses tricycles, il m’aura fallu un peu de temps pour l’apprivoiser et à peine plus pour l’aimer malgré son architecture anarchique, sa chaleur étouffante et cette foule, partout… Manille, c’est l’une des dix villes les plus peuplées du monde. Ce magnifique archipel du sud-est asiatique a en effet l’un des taux de natalité les plus forts de la région.

Taux de natalité, politiques démographiques, santé maternelle et infantile, droit à la contraception, ont fait partie de mon quotidien durant mon séjour en stage avec l’ONG philippine LIKHAAN. Cette ONG créée en 1995 se bat depuis sa création pour donner le droit aux couples philippins de décider librement, et en toute connaissance de cause, s’ils souhaitent ou non utiliser un moyen contraceptif. Depuis cette date, l’ONG et le reste des militants d’une loi sur la santé reproductive étaient accusés de vouloir anéantir le peuple philippin, ruiner le pays, prôner des comportements très « libérés » chez les femmes (les hommes restant de marbre quelque soit les circonstances)... Ces accusations n’étaient pas amenées par n’importe qui, mais par des sénateurs, des députés, des membres du gouvernement.

Au nombre de 11 femmes décédant chaque jour aux Philippines des suites de leur grossesse, ces représentants du peuple fermaient les yeux, niaient les faits, affirmaient des contre-vérités. Alors que plus de 72 % de la population soutenaient fermement le droit à l’information et au choix, ces représentants du peuple se réfugiaient dans les préceptes de l’Église catholique, pour s’assurer le soutien d’une institution ultra-puissante financièrement et politiquement, et pour assurer leurs places au sommet de l’État.

Dans un pays où quelques familles se partagent le pouvoir depuis des générations, où le Président de la République actuel est le fils d’une ancienne Présidente, où frère et sœur se côtoient au Sénat, où « fils de » et « fille de » sont légion, le pouvoir semblait ne pas vouloir changer d’avis sur la loi sur la santé reproductive, appelée aux Philippines « RH Bill ».

Mais le pouvoir a cédé. Il a dû s’incliner face à une mobilisation populaire menée depuis plus d’une décennie, devant la volonté de Philippins et de Philippines qui consacrent leur vie à donner à chaque enfant, et notamment à chaque fille, le droit de construire sa vie comme il l’entend. Ces personnes à la volonté de fer, à la motivation sans faille, étaient partout aux Philippines ; mais un vivier était certainement concentré dans cette ONG, Likhaan. J’ai rarement vu autant d’engagement, de conviction à se battre pour une cause juste et essentielle au développement d’un pays. Manifestations, événements de tout genre, présence à toutes les séances du Sénat et du Parlement, envoi de milliers de lettres, de mails rectifiant les « erreurs » des sénateurs et députés, appuyant les soutiens au projet de loi, organisant des rencontres entre associations, travaillant au plus près des communautés, l’équipe de Likhaan a tout fait et tout donné. L’équipe de Likhaan a aujourd’hui gagné.

Ce mercredi 12 décembre 2012, j’apprenais que la RH Bill avait été adoptée en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. Elle fut votée quelques jours plus tard à l’Assemblée et au Sénat et enfin ratifiée par le président des Philippines. Cette nouvelle qui m’a fait hurler de joie à l’autre bout du monde n’a pas fait la « Une » des médias internationaux, mais c’est une nouvelle essentielle pour un pays et pas seulement pour ses femmes. Cette loi, c’est avant tout le droit à l’information. C’est permettre la diminution des grossesses multiples et répétées, assurer la santé des mères et des enfants, et la capacité des couples à donner un avenir à leurs enfants. Cette loi, c’est une loi pour les femmes, les enfants, les familles, une loi pour un pays.

La loi est ratifiée, elle doit maintenant être appliquée. Le combat de Likhaan ne s’arrête donc pas là. Il faut désormais s’assurer que la loi soit réellement mise en place, que l’accès à l’information et aux moyens de contraception soit réel, que les plus pauvres, au cœur des préoccupations de l’ONG, n’en soient pas exclus. Je sais que l’équipe de Likhaan va assurer ce nouveau combat et les autres à venir…

Likhaan est une ONG philippine dirigée par le Docteure Junice Melgar. L’association dispose de plusieurs cliniques dans les bidonvilles de la mégalopole de Manille fournissant conseils, consultations et contraceptifs gratuitement. En parallèle, l’association mène des activités de sensibilisation du grand public et de plaidoyer.
Site internet de l’association : http://www.likhaan.org/