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Manille

mardi 25 février 2014

Avant de poser le pied à Manille, j’avais lu pas mal au sujet de la capitale. Je savais qu’il y avait beaucoup de monde (un euphémisme : je n’avais pas encore saisi l’ampleur de la densité démographique), que la ville était aux prises avec plusieurs problèmes communs aux mégalopoles, qu’il y avait de la pauvreté, du trafic, etc.

Quand j’ai mis le pied à Manille et que je suis embarquée dans le taxi à l’aéroport, j’étais stoïque. C’est bien beau les livres, il aurait été impossible de me préparer pour ce que j’allais vivre, voir, ressentir.

Maintenant que j’arrive au terme de mon troisième mois dans la ville, je n’ai toujours pas réussi à trouver le bon qualificatif pour la décrire, ni le sentiment qu’elle m’inspire. Chose certaine, elle ne me laisse pas indifférente.

Le Manille métropolitain (Metro Manila), c’est plus de 11 millions de personnes [1]. Bien que la ville soit divisée en quartiers, puis en barangays - ayant pour résultat un contrôle plus important entre les mains des dirigeants de ces plus petites unités - le problème de surpopulation de Manille en est un global, qui ne saurait se résoudre qu’en réaménageant les aires urbaines. L’exode rural est un phénomène endémique aux Philippines, et pour cause : en 2006, la pauvreté affligeait sept personnes sur dix dans les milieux ruraux [2]. Dans l’espoir d’un avenir meilleur, les familles décident de quitter leur région pour s’installer dans la capitale nationale. Ces migrations internes contribuent à la surpopulation de la métropole.

À Manille, c’est l’heure de pointe en permanence : pas seulement sur les grandes autoroutes, mais également dans les petites rues des barangays. Quelque part entre les coqs qui chantent, les « what’s your name ?! » et les « peanuts, ‘mam ! », les bruits des klaxons retentissent constamment. Au-delà de l’étroitesse des rues, la multitude des moyens de transports qui s’y côtoient crée une mosaïque routière où chacun cherche à se frayer un chemin. Taxi, jeepneys, voitures, tricyles et piétons collaborent pour que tout le monde se rende à bon port.

Plusieurs aspects permettent d’expliquer le chaos permanent de la métropole. Le fait que le code de la route (traffic laws) n’est pas respecté en est certainement un. Par exemple, il existe le number coding, système permettant à certaines voitures de circuler sur les routes de la ville, en fonction du code inscrit sur leur plaque d’immatriculation et des jours de la semaine [3]. Le Metropolitan Manila Development Authority (MMDA), a par ailleurs été vivement critiqué après l’introduction de cette mesure. Le leitmotiv de cette agence est de veiller à la coordination et à la planification de services municipaux offerts aux citoyens du Manille métropolitain. Parmi ses responsabilités, figure la réglementation de la circulation routière. Malgré la quantité importante d’agents qui patrouillent les rues de la ville (plus de 1500), le chaos semble insurmontable. Accepter des pots-de-vin, fermer les yeux sur des entraves au code la route et ne pas utiliser à bon escient les ressources dont ils disposent sont quelques-unes de critiques adressées à ces agents supposés faire figure d’autorité auprès des usagers de la route. D’aucuns avancent, par ailleurs, que le problème de Manille, ce n’est pas tellement la quantité de voitures (bien qu’elle soit importante), mais plutôt la façon dont les utilisateurs de la route se comportent.

Non seulement le trafic de Manille, en nécessitant le recours aux agents de la MMDA pour superviser les heures de pointe, représente une énorme perte de fonds publics (estimé à plus de 2,5 milliards de pesos par jour), il a également d’immenses répercussions sur la santé des habitants de la ville. En effet, selon la Banque mondiale, on enregistre plus de 4000 décès reliés aux maladies pulmonaires chaque année. Il suffit de peu de temps passé à Manille pour comprendre pourquoi, et comment, la pollution de l’air est si dommageable. À eux seuls, les tricyles contribuent de façon importante aux maux des piétons et des autres chauffeurs de la ville ; une épaisse fumée brunâtre ou noire s’échappe du tuyau d’échappement de leur bolide. Il ne semble pas exister de régulation ou de contrôle de la pollution émise par ces véhicules, si ce n’est du Tricycle Code [4], un genre de code de lois prescrit pour ces chauffeurs, visant à limiter les embouteillages lors des heures de pointe, en interdisant par exemple aux chauffeurs ne possédant pas de permis de conduire de circuler sur les routes de la ville.

Cancers, problèmes respiratoires, ainsi qu’une multitude d’autres problèmes de santé sont répertoriés comme étant causés, notamment, par la pollution de l’air découlant des gaz émis par les voitures et autres moyens de transport. Le problème réside essentiellement dans la fréquence à laquelle les gens sont exposés à cette pollution. Que ce soit les gens qui empruntent le transport en commun tous les jours, les piétons, les propriétaires de sari-sari sur le bord de la route ou encore les chauffeurs de jeepneys, de moto, de tricycles ou tout autre véhicules sans air climatisé, ils sont tous exposés quotidiennement et pendant d’interminables heures à des quantités phénoménales d’air pollué.

Du trafic à Manille, il y en a toujours. Beau temps, mauvais temps. Mais quand arrive la saison des pluies, ça ne pardonne pas pour certaines parties de la ville et les routes deviennent impraticables. La sur-urbanisation de la ville fait en sorte qu’il n’y a plus d’espace pour que l’eau s’écoule. L’eau s’accumule partout : les toits des maisons, des bâtiments, les rues. Des habitations de fortune ont été construites directement sur les drains, empêchant l’écoulement de l’eau de pluie. Souvent, ces dernières sont construites aux abords des rues, les exposant ainsi au bruit incessant de la circulation, ainsi qu’à sa pollution excessivement nocive. Le réseau d’égouts n’étant pas adapté aux pluies torrentielles, d’autant plus d’embouteillages ont lieu car l’accumulation d’eau bloque la circulation des voitures [5].

Manille se retrouve donc dans une spirale où sa population, son trafic et les problèmes de santé y étant reliés sont difficilement dissociables. La nécessité d’avoir un bon réseau de transports en commun se voit confrontée au manque d’investissements réalisés à cet égard. Résultat, bien qu’autobus, jeepneys, voitures et tricycles arpentent la ville sans cesse, les agents polluants émis par ces derniers sont sources de nombreux maux pour les habitants de la ville. Un meilleur système de transport en commun favoriserait sans doute une réduction des émissions de carbone nocives, tout en améliorant la qualité de vie des Manillais.


[1DEMOGRAPHIA.« Demographia World Urban Areas », (2013) En ligne http://www.demographia.com/db-worldua.pdf (page consultée le 13 octobre 2013).

[2Ernie Reyes, « After Manila, Pasay also goes after colorum tricycles (2013) En ligne. http://www.interaksyon.com/article/67604/after-manila-pasay-also-goes-after-colorum-tricycles (page consultée le 7 juillet 2013).

[3MMDA, « Number Coding Scheme », (2010) En ligne. http://www.metromaniladirections.com/2010/03/mmda-number-coding-scheme.html (page consultée le 17 octobre 2013).

[4Ernie Reyes, « After Manila, Pasay also goes after colorum tricycles (2013) En ligne. http://www.interaksyon.com/article/67604/after-manila-pasay-also-goes-after-colorum-tricycles (page consultée le 7 juillet 2013).

[5Manila Times, « No Quick Fix to Metro Manila’s Flood Problem » (2013) En ligne http://www.manilatimesonline.net/no-quick-fix-to-metro-manilas-flood-problem/26250/ (page consultée le 27 juillet 2013).