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Travailler à l’étranger

samedi 19 janvier 2013

Les Philippines ont développé au cours des années une politique d’émigration de la main-d’œuvre nationale vers des pays plus riches où les emplois sont relativement plus payants.

Cette stratégie de développement amène des devises étrangères au pays et permet aux travailleurs philippins d’aller chercher des opportunités salariales bien au-delà des moyennes nationales. Le gouvernement national des Philippines a créé en 1982 une agence administrative pour les travailleurs outremer afin de mieux coordonner le programme d’emploi à l’étranger, de protéger le droit des travailleurs et de faciliter la transmission d’information aux intéressés [1] .

Il est assez surprenant d’apprendre que plus de 9.5 millions de Philippins travaillaient à l’étranger en 2010 [2]. Pour donner une idée, cela représente plus de 10% de la population des Philippines. On regroupe cette catégorie de gens en trois groupes distincts. On a d’abord les Philippins qui ont acquis la résidence permanente dans leur pays d’accueil. Ensuite, il y a ceux qui sont à l’étranger temporairement et seulement pour le travail. Enfin, il y a ceux que l’on qualifie d’« irréguliers » qui n’ont pas de papiers ou de visas mais qui contribuent tout de même à la force économique philippine à l’étranger.

Il est important de mentionner que les Philippins travaillant à l’étranger sont entièrement exempts d’impôts envers leur pays d’origine. Le gouvernement compte donc sur cette force économique pour transférer des devises étrangères à leur famille. Même s’ils ne paient pas d’impôt, l’argent qui est emmené au pays sera dépensé ou investi et permettra de faire « rouler » l’économie.

Or, à partir de là, on peut se poser les questions suivantes : est-ce que cette politique peut être soutenable à long terme et doit-elle l’être ? Est-ce qu’on peut bâtir un pays qui fait la promotion de politiques construites sur des valeurs de division ou de séparation de la famille ? Aussi, quelle sorte de message envoie-t-on à la jeunesse des Philippines ? La misère est ici et l’or est ailleurs ?

Évidemment, cette politique de court-terme apporte bien certainement des bienfaits aux familles impliquées, mais plusieurs effets pervers apparaissent ou pourraient apparaître à long terme. Il existe des cas familiaux où des enfants âgés de 10-12 ans rencontrent leur père ou leur mère pour la première fois. Dépendant des moyens, certains parents reviennent chaque année, quelques-uns aux deux ans alors que d’autres ne reviennent qu’aux cinq ans. On peut imaginer les problèmes qu’une telle réalité peut causer aux structures familiales et aux enfants qui grandissent sans père ou sans mère.

De nombreux cas de viols et de violences au dépend de femmes qui travaillent comme aide domestique à l’étranger ont été décelés, surtout dans la région du Moyen-Orient. En plus de ces problèmes, les conditions de travail parfois dures jumelées au fait d’être isolé des amis et de la famille peuvent rendent la vie des travailleurs à l’étranger difficile.

On peut aussi se questionner sur l’effet de cette politique sur les mentalités. En faisant ainsi l’éloge du travail outremer, ne lance-t-on pas le message que le meilleur sort que l’on peut atteindre, c’est de sortir du pays pour y trouver un emploi ? En plus de voir une grande quantité de travailleurs peu qualifiés partir à l’étranger, il y a déjà des professionnels gagnant des salaires décents qui quittent chaque année les Philippines pour améliorer leur situation économique (surtout des dentistes, des médecins et des ingénieurs). Donc, pour éviter d’assister à une fuite plus importante des cerveaux, il faudrait faire en sorte de changer l’approche qu’ont certains Philippins à l’égard du travail à l’étranger et de valoriser monétairement le travail local.

De mon expérience, le phénomène des Overseas Filipino Workers (OFW) est assez observable dans la vie de tous les jours. On voit des affiches publicitaires montrant des offres d’emplois à l’étranger et des bureaux de l’administration publique de l’emploi outremer. Dans la zone des départs à l’aéroport de Manille, on voit plusieurs dizaines de Pilippins qui disent « au revoir » ou « adieu » à leur famille. On parle à des gens qui nous racontent que leur mère vient de trouver un emploi aux Émirats Arabes Unis et qui nous partagent leur joie par rapport à cette nouvelle.

Il est certain que l’expérience philippine des dernières décennies en ce qui concerne l’émigration des travailleurs a apporté de la richesse au pays. Il y a cependant des effets pervers à prendre en considération ; il y a d’importants coûts en qualité de vie à assumer dans certains cas pour ceux qui ont décidé de quitter pour l’étranger.


[1POEA, « Legal Mandate », (2010) En ligne. http://www.poea.gov.ph/html/aboutus.html (page consultée le 16 août 2012).

[2Commission on Filipinos Overseas, « Stock Estimate of Overseas Filipinos », (2010) En ligne. http://www.cfo.gov.ph/pdf/statistics/Stock%202010.pdf (page consultée le 16 août 2012).